Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/848

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dialogues objet de ses recherches[1]. » C’est là évidemment l’origine de ce travail dont une première et informe rédaction fut peut-être détruite, comme on nous le dit, mais pour être améliorée, et qui subsista dans ses parties essentielles, s’accroissant de jour en jour par les nombreuses lectures de Diderot et par ses réflexions à propos de chacune d’elles. Il n’est pas douteux que c’est d’après ces notes que furent composés l’Entretien avec d’Alembert et le Rêve, où il est aisé de reconnaître l’identité des faits cités et des hypothèses qui en sont la conséquence; mais il n’est pas douteux aussi que le cahier dont Diderot avait tiré en 1769 la substance de ces Dialogues resta ouvert pour recevoir les nouveaux faits, les nouvelles expériences dont sa vieillesse, comme sa maturité, était avide, et les conjectures qui se pressaient en foule dans son esprit toujours jeune.

Il serait intéressant de connaître les sources principales où Diderot a puisé les élémens de sa science. Dans une lettre au célèbre chirurgien Petit, le maître de Vicq d’Azyr, il prétend « qu’il n’a de l’anatomie et de la physiologie que la pauvre petite provision que l’on prend au collège, ensuite ce qu’il en a pu prendre chez Verdier, puis chez Mlle Biheron[2]. » Cela est fort exagéré. D’abord nous savons qu’il a fait des extraits considérables du grand ouvrage de Haller. Les noms de Linné, qu’il aime médiocrement, et de Buffon reviennent sans cesse dans ses écrits. Il est au courant des travaux de Needham, l’Anguillard de Voltaire, de Camper, de Fontana, l’auteur d’expériences alors célèbres sur les parties irritables et sensibles, de tous ceux enfin qui apportent une contribution à la science. Et comment n’eût-il pas été bien informé de tout ce qui se produisait de nouveau de son temps dans cet ordre de connaissances, quand on sait dans quelle liaison intime, dans quel commerce d’amitié et d’idées il vivait avec Bordeu, avec quelle passion lui et Naigeon lisaient et discutaient les Recherches anatomiques sur les glandes, sur le tissu muqueux et l’organe cellulaire qui paraissaient de 1752 à 1767? Il était d’ailleurs bien préparé à des lectures et à des entretiens de ce genre par la connaissance qu’il avait prise de certaines sciences accessoires. Nous savons qu’il avait fait plusieurs cours de chimie, comme on disait alors, sous le grand démonstrateur Rouelle, celui qui forma les principaux chimistes du temps et le plus illustre de tous, Lavoisier, et duquel une tradition

  1. Mémoires de Naigeon sur Diderot, édition Brière, p. 224.
  2. Lettre à M. Petit sur une question d’anatomie et de physiologie. Verdier était un chirurgien qui faisait des leçons publiques. Mlle Biheron a, la première, fabriqué avec une grande perfection des pièces d’anatomie. Les éditeurs nous apprennent qu’elle était fort dévote, fort pauvre, passionnée depuis sa jeunesse pour cette science, dont elle excellait à donner les figures; elle habitait, place de l’Estrapade, la maison d’angle où Diderot avait aussi demeuré.