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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/879

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temps un radoub complet. Quand Denys eut une flotte, il s’occupa d’en prévenir autant que possible le dépérissement. L’habile politique fut sous ce rapport beaucoup plus prévoyant que Méhémet-Ali, l’infatigable et audacieux vice-roi, qui n’improvisa pas avec moins d’activité une flotte formidable, mais qui, après avoir construit ses vaisseaux avec du bois vert, s’étonna de les voir s’évanouir en quelques années dans ses mains. Tout le pourtour du grand port de Syracuse se garnit de magnifiques cales couvertes. Ces hangars étaient au nombre de cent soixante; chaque hangar contenait deux galères. Il existait déjà cent cinquante chantiers abrités. Denys les fit remettre en état. On reconnaît dans ces dispositions l’organisation qu’imita Venise au temps où le monde la proclamait la reine de l’Adriatique.

Il est plus aisé de fonder des arsenaux et de construire une flotte que de faire sortir de terre des équipages. C’est toujours là que les développemens trop hâtifs s’embarrassent. Denys ne put donner qu’à la moitié de ses vaisseaux longs des pilotes, des céleustes, des rameurs recrutés parmi les citoyens de Syracuse ; l’autre moitié fut montée par des étrangers dont le tyran s’assura les services par une solde élevée. À cette force navale il ne manquait plus qu’un chef; Denys le choisit dans sa propre famille. Son frère Leptine fut placé à la tête de la flotte, Denys se réserva le commandement de l’armée. Cette armée ne dépassa jamais le chiffre de trente mille fantassins et de quatre mille cavaliers; encore pour en arriver là, fallut-il tirer des mercenaires de tous les pays. Déjà mises à contribution par Carthage, l’Italie et la Grèce fournirent de nombreuses recrues à la Sicile. Denys d’ailleurs ne négligea rien pour tirer le meilleur parti possible de ces troupes étrangères. Chaque soldat trouva, en arrivant à Syracuse, les armes qu’il était habitué à manier dès l’enfance. Les officiers recruteurs avaient reçu l’ordre de rapporter des diverses contrées où ils opéraient les modèles les plus perfectionnés des instrumens de guerre en usage dans le pays. Denys prescrivit à ses ouvriers de reproduire exactement et sans y rien changer le coutelas des Thraces, la javeline du Brutium et la sarisse des Doriens. Tout l’espace que n’occupaient pas les chantiers ou les cales couvertes avait été abandonné aux armuriers. Si vastes qu’ils pussent être, ces ateliers furent encore jugés insuffisans; on les compléta en affectant à la fabrication des armes la plupart des édifices publics et les maisons les plus considérables de la ville. En quelques mois, Denys eut à sa disposition cent quarante mille boucliers, un nombre égal d’épées et de casques, plus de quatorze mille cuirasses. Le pouvoir absolu abrège bien des lenteurs, et l’autorité que s’était adjugée Denys le rendait, pour