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vagabond et le savant. Lorsqu’il avait assez couru, assez vu de pays, assez tâté de tout, il se fixait quelque part, entrait dans la vie régulière; le vagabond disparaissait, le savant seul survivait. Malheureusement, de bonne heure ce fut le contraire qui arriva ; le vagabond devint tout l’homme; sa science ne lui servit qu’à faire des dupes et il abusa des privilèges que lui assurait son costume pour se livrer aux industries les moins avouables. C’était le temps où l’on croyait aux philtres, aux charmes, aux élixirs de longue vie, aux cures sympathiques, à la divination, aux évocations d’esprits. Tout cela se payait très cher. Les écoliers errans ne se firent point faute de dire la bonne aventure, d’indiquer les trésors cachés, de vendre des drogues merveilleuses. Le poignard destiné à les protéger dans leurs voyages leur servit à extorquer double et triple tribut aux confrères. Ils eurent, comme Panurge, soixante et dix manières de se procurer de l’argent, dont la plus honnête était de dérober par larcin. La corporation écolière se peupla de charlatans et d’escrocs, et de ces charlatans et escrocs, Faust fut le roi.

Il n’y eut jamais hâbleur plus effronté. A sa sortie de l’université, il commença sa tournée, se vantant en tous lieux de posséder une science merveilleuse et d’accomplir les plus surprenans prodiges. Il s’intitulait philosophe des philosophes, philosophus philosophorum, source de la nécromancie, astrologue, physionome, chiromancien, agromancien, pyromancien, etc. Son chien et son cheval, dont il avait fait des animaux savans (ils savaient tout faire, dit le théologien Johann Gast, dans les Sermones), aidèrent encore à son renom de magicien auprès de la foule, qui les prenait pour deux diables déguisés. Un accident faillit interrompre, presque à ses débuts, une carrière qui promettait d’être si brillante. Il avait poussé jusqu’à Venise, et là il s’était fait fort de voler dans les airs. On le prit au mot; il tomba et se rompit à moitié le col; mais il n’en devint pas plus sage. Quelque temps après, l’auteur de la Chronique d’Hirsauge, l’abbé Trithème, passant par une ville de Hesse, apprit que le docteur Faust, dont le nom était déjà célèbre, se trouvait dans son hôtellerie. Il s’était donné au public pour savoir par cœur, mot à mot, tous les ouvrages de Platon et d’Aristote. L’occasion était bonne de faire ses preuves devant le docte abbé. Aussi le docteur se hâta-t-il de prendre la fuite, laissant pour Trithème une carte de visite ainsi conçue : Magister Georgius Sabellicus, Faustus junior, fons necromanticorum, magus secundus, chiromanticus, agromanîicus, pyromanticus, in hydra arle secundus. « C’est un bavard et un fourbe » écrivait l’abbé à la suite de cette aventure.

La même année (1507), Faust fit à Kreuznach la connaissance d’un certain Franz von Sickingen, influent dans sa ville, homme très porté au mysticisme. Il l’éblouit par sa jactance, si bien que Franz von Sickingen usa de son crédit pour le faire nommer régent de l’école de Kreuznach, où toutefois il ne demeura guère; certaines gentillesses à