Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/943

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d’une seule question, telle que la question de l’instruction primaire avant 1789 dans les pays qui depuis ont formé tel ou tel de nos départemens. En nous aidant des premiers, c’est de ceux-ci surtout que nous voudrions, — très brièvement, — résumer les travaux. Il semble en effet que l’on puisse, dès à présent, indiquer les grandes lignes, peut-être encore un peu flottantes, mais déjà suffisamment précises, d’une histoire de l’instruction primaire sous l’ancien régime.

C’est, je crois, M. Léopold Delisle qui, dans son savant ouvrage sur la Condition de la classe agricole en Normandie au moyen âge, dirigea le premier, voilà bientôt trente ans, la curiosité des érudits vers cette question de l’instruction primaire. Il avait prouvé par des textes et par des faits que l’instruction primaire, en Normandie du moins, était beaucoup plus largement répandue qu’on ne le pensait, et qu’en plein xiiie siècle, dans cette nuit légendaire du moyen âge, non loin des vives clartés que jetaient les universités, d’humbles lueurs avaient aussi brillé dans nos campagnes. Dans les écoles rurales de ce temps-là, sans doute, l’instruction religieuse tenait la première place, mais « on ne peut douter qu’on y enseignât aussi la grammaire, » et l’on y formait surtout des clercs, destinés plus tard à la prêtrise, mais « on initiait à l’art de la lecture et de l’écriture un certain nombre de paysans. » Des recherches nouvelles, faites par M. de Robillard de Beaurepaire, ont confirmé depuis lors, pour le diocèse de Rouen, et même singulièrement étendu les conclusions de M. Delisle[1] Enfin, plus récemment, un autre érudit, M. Siméon Luce, dans une histoire de Bertrand du Guesclin, reprenant incidemment la question, élargissant le sujet, a cru pouvoir dire, sur des preuves nouvelles et pour une autre province, qu’il n’était guère au xiiie siècle de commune rurale qui ne possédât son école.

On a demandé là-dessus comment et par quel miracle ce progrès commencé s’était brusquement interrompu ? Il n’y a pas de miracle, et la réponse est facile. Philippe de Valois est monté sur le trône de France, et la guerre de cent ans a commencé. Cent ans de guerre, et d’une guerre soutenue tout entière sur le sol français, changent la face de bien des choses. Quand le roi de France n’était plus que le roi de Bourges, il faudrait avoir l’étonnement facile pour s’étonner qu’on ne songeât guère à l’instruction du peuple dans un royaume occupé tout entier par l’Anglais. Autant vaudrait s’étonner que nos assemblées révolutionnaires n’aient rien fait ou presque rien pour l’instruction primaire que des rapports et des règlemens. Silent leges inter arma. Chacun sait au surplus que, si les Valois sont au premier rang parmi les princes protecteurs de ce qu’on pourrait appeler les parties brillantes de la civilisation, il y a beaucoup à dire, depuis Philippe VI jus-

  1. Recherches sur l’instruction publique dans le diocèse de Rouen, dans les Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, tomes xx et xxvi.