Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/951

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pable quand il sait servir la messe et jouer au piquet. » Je ne voudrais pas fatiguer le lecteur de citations qui se répéteraient un peu les unes les autres. Il voit où était le mal et par où péchait l’organisation des écoles. Il y avait des fondations, mais on les détournait trop souvent de leur usage ; il y avait des maîtres d’école, mais leur ignorance était grande ; il y avait des surveillans naturels des écoles de campagne, mais ces surveillans ressemblaient à beaucoup de surveillans qui surveillent leurs intérêts d’abord et le reste ensuite, ou jamais.

Quand le temps sera venu de tracer un tableau d’ensemble de l’instruction primaire sous l’ancien régime, il ne faudra pas oublier d’y faire entrer ces sortes de détails. Ce serait mutiler la vérité que de les omettre, mais ce serait aussi l’outrer que de leur donner trop de relief, et, dans l’un comme dans l’autre cas, ce serait la défigurer. Car des renseignemens d’un autre genre viendraient aussitôt prouver contradictoirement qu’après tout ces vieux maîtres ne laissaient pas de remplir à peu près leur métier. Je veux parler de ces plaintes qui s’élèvent, dès le milieu du XVIIIe siècle, sur la diffusion de l’instruction primaire. On trouve évidemment que les choses vont trop vite, et que ce peu d’instruction qu’on leur donne met aux mains des populations rurales une arme dangereuse, dangereuse pour la société, dangereuse pour elles-mêmes surtout, qui ne savent pas s’en servir. « On a la manie, dit l’auteur anonyme d’un Essai sur la voirie et les ponts et chaussées, — attribué longtemps, mais faussement, à Duclos, — de ne plus engager aucun domestique qui ne sache lire, écrire et calculer ; tous les enfans des laboureurs se faisant moines, commis des fermes ou laquais, il n’est pas étonnant qu’il n’en reste plus pour le mariage et pour l’agriculture. » Les maîtres d’école enseignaient donc quelque chose « aux enfans des laboureurs, » fût-ce entre deux sonneries d’Angelus. Un autre anonyme se plaint « de la multiplicité des écoles publiques et gratuites qui sont répandues dans tout le royaume, » et c’est justement pour aboutir à la même conclusion qu’il n’y a désormais d’état pour le fils de l’agriculteur « que de venir grossir le nombre des religieux ou de ces célibataires, solliciteurs d’emplois, dont la France fourmille. » Mais laissons les anonymes.

Je lisais récemment, dans les extraits d’un rapport à déposer sur le bureau de la chambre des députés, que Joseph de Maistre aurait dit quelque part : « Je n’éprouve pas le besoin d’avoir un valet de chambre qui sache lire. » Le jeune député qui cite ainsi Joseph de Maistre rappelle-t-il au moins qu’avant Joseph de Maistre bien d’autres avaient dit la même chose, et que ces autres, pour n’en citer que quelques-uns, étaient le procureur général La Chalotais, par exemple, et Voltaire ? On n’a pas encore perdu l’habitude, à ce que je vois par des livres récens, de célébrer les « intentions généreuses » et « l’esprit libéral » de La Chalotais. Aussi ne faut-il pas laisser dans l’ombre ce passage de