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possédaient à elles deux plus de 800 maisons. À la même date, l’institut des Frères des écoles chrétiennes dirigeait déjà 120 maisons, qui comptaient en tout 36,000 élèves[1]. Descendons aux écoles communales. M. de Beaurepaire a constaté que sur 1,159 paroisses du diocèse de Rouen, visitées de 1713 à 1717, 855 se trouvaient pourvues d’écoles. M. Babeau constate à son tour qu’en 1788, sur 446 communes qui depuis ont formé le département de l’Aube, 420 avaient leur école. Il ajoute qu’en 1879, dans le même département, 21 communes sont encore sans écoles. Le progrès accompli se réduirait donc à l’érection de six écoles nouvelles pour quatre-vingt-deux ans de temps, sans parler de l’accroissement probable de la population ? Enfin, si l’on veut restreindre encore le champ des recherches, on trouve que dans le petit village de Saint-Prix, canton de Montmorency, le nombre des conjoints sachant lire, ou du moins signer, n’a pas cessé de grandir depuis 1668 jusqu’en 1789. En 1668, pour 100 mariages, 46 hommes et 12 femmes savent signer. En 1789, la proportion est déjà de 73 hommes sur 100 et de 46 femmes. Elle est aujourd’hui de 88 hommes et de 94 femmes[2].

Je sais le peu de confiance qu’en beaucoup de matières il convient d’accorder aux chiffres, et particulièrement ici. Je sais ce que de telles statistiques, si prudemment établies qu’on les suppose, comportent encore d’arbitraire. On détermine, par exemple, le nombre des lettrés et des illettrés par rapport au chiffre des mariages; mais sur un nombre donné de mariages, combien des conjoints appartiennent-ils réellement à la localité ? Ou bien encore on nous apprend que dans le diocèse d’Autun les archiprêtres, — de 1667 à 1792, — ont constaté que sur 360 paroisses 253 étaient pourvues de maîtres ou de maîtresses d’écoles ; c’est à peu près comme si l’on ne nous apprenait rien, et c’est un pur mirage que ce total. Car enfin de ces 253 écoles, combien en existait-il déjà, par exemple, en 1667, ou combien en existait-il encore en 1792 ? Dans cet espace de plus de cent ans, combien de causes ont pu faire varier ce chiffre et rendent par conséquent tout à fait dérisoire cette prétendue proportionnalité ? Car, si les archiprêtres du diocèse ont fait régulièrement, chaque année, leur visite, il se pourrait parfaitement que dans l’étendue de ces 360 paroisses il n’eût jamais existé plus d’une douzaine d’écoles à la fois.

Mais la grande raison de ne pas se presser de conclure, c’est que l’investigation n’a jusqu’ici porté que sur quelques provinces de l’ancienne France et qu’il convient d’attendre que la patience de nos érudits ait achevé cette vaste enquête. J’ajouterai que quelques-uns des livres dont nous venons de parler tombent un peu sous le coup du reproche

  1. De Fontaine de Resbecq, ouvrage cité.
  2. L’École et la Population de Saint-Prix depuis 1668, par M. Auguste Rey, dans les Mémoires de la Société de l’histoire de Paris et de l’Ile-de-France, t. V, 1879.