Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/960

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tout à coup être une arme de guerre mise par un ministre impatient de popularité aux mains des partis. Elle répondait à des passions assez vives dans la chambre des députés, cela n’est pas douteux : M. le ministre de l’instruction publique s’est fait l’homme de ces passions.

C’est bien une œuvre de guerre qui a été proposée, qu’on a entendu faire entrer dans nos lois sous le voile d’une réforme de l’enseignement et d’une revendication de l’indépendance civile. M. Jules Ferry n’a pas vu qu’il sacrifiait tout à une fantaisie anti cléricale, que pour donner satisfaction aux impatiences de certains républicains il risquait de blesser les modérés, de les jeter dans la dissidence, qu’il prenait l’initiative des scissions dans la majorité, peut-être entre les pouvoirs publics, et que, s’il avait son succès dans la chambre des députés, il allait se trouver au sénat en face d’hommes comme M. Dufaure, M. Jules Simon, M. Laboulaye, M. Littré, qui comptent, eux aussi, dans la république. Il ne s’est pas aperçu qu’il affaiblissait tous les élémens de pondération, qu’il faisait tout dévier. Une fois engagé dans cette voie, poussé par un faux point d’honneur, aiguillonné par les excitations, M. Jules Ferry ne s’est plus arrêté. Il a été comme tous les hommes qui sont la proie et le jouet d’une idée fixe. Il a entrepris ce voyage, ce singulier voyage de propagande pour son propre compte, cette série de pérégrinations où il apparaît tantôt dialoguant avec les petits enfans, tantôt armé en chevalier marchant à la croisade, enseignes déployées, au nom de l’article 7, Il a paru partout, dans les banquets, sur les chemins, sur les balcons, pérorant, provoquant d’assez banales ovations, s’acclamant lui-même et criant au besoin avec son cortège : Vive l’article 7 ! Ce n’était vraiment pas exempt de ridicule.

Que M. Jules Ferry ait cru sérieusement porter avec lui le destin de la république dans cette bizarre et triste campagne, il n’a pas moins fait deux choses qui ne sont pas d’un politique : deux choses qui peuvent avoir leurs conséquences et qui ne simplifient certes pas une situation déjà difficile. D’abord, pour qui réfléchit, il est bien clair que M. le ministre de l’instruction publique a pris beaucoup sur lui, qu’il a notablement dépassé la mesure des opinions de quelques-uns de ses collègues, qu’il s’est efforcé d’engager le ministère plus que le ministère tout entier n’entend sans doute être engagé. M. Jules Ferry s’est plu à répéter sur tous les tons et à tout propos que le gouvernement était uni, parfaitement uni, qu’il était résolu à aller jusqu’au bout, qu’il ne « reculerait pas d’une semelle. » Tout cela est bon à dire dans un banquet. Assurément les membres du cabinet qui ont laissé M. Jules Ferry présenter ses projets restent loyaux dans leurs rapports avec lui, ils sont unis dans ce sens : ils ne troublent pas leur impétueux collègue dans ses triomphes peu sérieux. Au fond ils ne partagent pas ses ardeurs, ils croient beaucoup moins que lui à l’utilité, à la vertu de ce malencontreux