Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/959

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de l’indépendance de la société moderne, sans avoir besoin de recourir à des exclusions jalouses, à ce médiocre expédient d’un article équivoque.

Un homme qui vivait il y a près d’un demi-siècle, qui avait autant de vigueur d’âme que de supériorité d’intelligence et qui n’était pas suspect pour ses opinions républicaines, Armand Carrel, disait qu’il était ce pour le gouvernement représentatif contre la monarchie, » mais qu’il était aussi « pour le gouvernement représentatif contre la république, » si celle-ci touchait aux garanties de la liberté. Il parlait ainsi en face des jacobins de son parti, ajoutant avec une fierté virile : « Il y a peu de mérite à vouloir la liberté à son profit quand on en a besoin pour se défendre… Nous voulons la liberté pour nous aujourd’hui, demain contre nous si nous étions les maîtres, bien différens de ceux qui veulent caresser et ménager des pratiques oppressives dans l’espoir de les manier à leur tour et devenir de persécutés persécuteurs. » C’est là la vraie et forte tradition à laquelle M. le ministre de l’instruction publique a manqué le jour où il a compromis le gouvernement auquel il appartient, la république elle-même dans une entreprise contre la liberté, sous prétexte que cette liberté peut profiter à des adversaires, et si ses projets ont été malheureux par le fond, ils l’ont été au moins autant par la forme incohérente et décousue sous laquelle ils ont été présentés, qu’ils gardent encore. Qu’est-ce qu’une loi qui a trait à la collation des grades, à des détails d’enseignement supérieur et qui s’en va par voie subreptice, par une disposition épisodique, abroger une autre loi datant de trente années, relative à l’instruction secondaire ? Qu’est-ce qu’une œuvre législative qui a pour objet de régler des questions scolaires et qui en même temps a la prétention de prononcer sur les associations, d’introduire l’autorité discrétionnaire dans le domaine du droit commun ?

Le fait est que cette œuvre, destinée à une si étrange fortune, a eu dès l’abord tout le caractère d’une improvisation de circonstance, irréfléchie et confuse, dépourvue de toute garantie d’examen, livrée aux ardeurs de l’opinion sans avoir même subi un peu sérieusement le contrôle du gouvernement. Tout le monde sait aujourd’hui que les projets de M. Jules Ferry n’ont guère été soumis au conseil que pour la forme, que les autres ministres en ont à peine entendu la lecture sans se rendre exactement compte de la portée de cet article 7 et du retentissement qu’il allait avoir, si bien que bientôt après il y a eu peut-être une certaine surprise. L’œuvre personnelle de M. le ministre de l’instruction publique avait à demi échappé au gouvernement, préoccupé à ces premiers instans d’en finir avec l’amnistie, avec le procès toujours suspendu sur le 16 mai On avait laissé faire, et c’est ainsi que conçue dans une pensée peu libérale, marquée de sceau de l’esprit de secte, improvisée dans la confusion, cette loi s’est trouvée