Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 35.djvu/962

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Fort bien ! voilà les modérés, les libéraux « timorés » avertis qu’ils doivent s’incliner devant le génie de M. Jules Ferry et, comprendre la république comme lui ! Voilà le sénat prévenu que s’il ne vote pas, il va au-devant d’une révolution ! Malheureusement il y a une petite difficulté. Au moment où M. Jules Ferry parle ainsi au sénat, d’autres lui tiennent, à lui, le même langage et lui crient : « Entendez la voix du peuple qui de Port-Vendres à Paris vous demande l’amnistie plénière ! Donnez-lui l’amnistie plénière, sinon la révolution va vous emporter ! » Et l’un est aussi vrai que l’autre. Le seul fait réel, c’est que dans ces mouvemens tout s’enchaîne. L’agitation pour l’amnistie suit l’agitation pour l’article 7, et c’est ainsi que sans le vouloir, selon toute apparence, M. le ministre de l’instruction publique a plus que tout autre conduit le gouvernement à cette situation où il n’a que le choix des difficultés et des embarras. Peut-être M. Jules Ferry espère-t-il encore se tirer d’affaire par un coup de tactique et enlever le vote de son article 7 en payant cette concession d’un refus de l’amnistie plénière. Il est bien possible que cette combinaison se soit présentée à quelques esprits ; mais ce ne serait plus là qu’un vain expédient qui ne résoudrait rien. La seule, la vraie question, telle qu’elle se débat aujourd’hui, telle qu’elle apparaîtra à l’ouverture du parlement, elle est désormais tout entière entre ceux qui veulent l’amnistie plénière, l’article 7, bien d’autres choses encore, et ceux qui ne veulent ni l’article 7, ni l’amnistie, qui ne demandent que l’exécution fidèle de la constitution avec une politique de prévoyante modération, de fermeté libérale, assurant à la fois la paix civile et la considération extérieure du pays.

S’il y a des énigmes dans les affaires de la France, il y a pour le moins autant de mystères dans la situation de l’Europe. Il est certain qu’à l’heure qu’il est il y a sous nos yeux, sous les regards du monde, un mouvement singulièrement compliqué, affectant un double caractère, un mouvement dans les alliances, dans les rapports des grands états européens, un mouvement dans la politique intérieure de ces empires qui se partagent le centre et le nord du continent. On a cherché curieusement déjà, on cherchera longtemps encore sans doute le secret du récent voyage de M. de Bismarck à Vienne, de ces démonstrations d’intimité, de ces entrevues préparées avec une si visible ostentation. Le tout-puissant chancelier, quelque soin qu’il prenne de répéter à tout propos qu’il ne se sert pas de la parole pour déguiser sa pensée, ne dit point toujours assurément le dernier mot de ses combinaisons. S’il a d’autres desseins, si dans ses marches et contre-marches il va vers quelque but entrevu de lui seul, il n’en fait pas confidence, et dans la réalisation de ces desseins d’ailleurs tout dépendrait de bien des circonstances. Pour le moment, même après tous les commentaires qui ont couru le monde, ce qui reste le plus probable, c’est que, dans cette visite du chancelier de Berlin à Vienne, on s’est borné de part et d’autre