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à des explications, à des protestations d’amitié, à des promesses de bon accord. M. de Bismarck s’est vraisemblablement proposé avant tout d’effacer les dernières traces des anciennes blessures de 1866 par une démarche éclatante, de préparer entre la Prusse devenue l’empire allemand et l’Autriche acceptant son rôle d’empire de l’est des relations nouvelles profitables aux deux états ; il a tenu à s’assurer par lui-même, comme il l’a dit, que cette politique caressée par lui depuis longtemps, acceptée et suivie par le comte Andrassy, ne serait pas altérée par la retraite du premier ministre austro-hongrois, dont le baron Haymerlé vient de recueillir officiellement la succession.

Le chancelier a-t-il réussi selon ses désirs et recueillera-t-il de son voyage tous les fruits qu’il s’en promettait ? Plus d’un signe tendrait à prouver qu’il n’a pas désarmé complètement le vieil orgueil militaire autrichien, que tout ne sera pas facile dans le règlement des relations commerciales des deux empires. M. de Bismarck a dû réussir tout au moins à établir une entente de raison sur certains points d’intérêt commun, de sécurité commune. Sans aller jusqu’à une alliance formelle, ce rapprochement ostensible, avoué, de l’Allemagne et l’Autriche a surtout cela de significatif et de sérieux qu’il semble mettre fin aux combinaisons diplomatiques de ces dernières années, en laissant la Russie dans un isolement que la puissance du nord ne paraît pas accepter sans quelque ressentiment et quelque amertume. À travers tout, dussent le prince Gortchakof et le prince de Bismarck se rencontrer un de ces jours pour faire la paix personnelle des chanceliers, c’est comme un règlement de comptes entre Berlin et Saint-Pétersbourg. La Russie a permis beaucoup à la Prusse, elle lui a rendu des services que l’empereur Guillaume a reconnus avec effusion. La Prusse à son tour a beaucoup permis à la Russie, elle lui a payé sa dette en la laissant faire sa dernière guerre d’Orient. Maintenant le voyage à Vienne semble s’être produit à propos pour dire que c’est assez, que toute entreprise nouvelle rencontrerait l’Autriche en Orient, l’Allemagne au centre du continent. Sur ce point, s’il n’y a pas une alliance précise, arrêtée, il y a évidemment un accord tacite qui s’explique par des intérêts communs, par le système de conduite des deux cabinets dans la négociation du traité de Berlin comme dans l’occupation de la Bosnie, qui en a été la suite. Il resterait à savoir quelles seront les conséquences de cette entente austro-allemande dans l’ensemble de la situation diplomatique de l’Europe, dans les rapports généraux de toutes les puissances. C’est ici une question d’avenir qui bien des fois sans doute changera de lace, qui est destinée à subir l’influence de bien des événemens ; mais, en attendant, ce qui n’est pas moins curieux et moins caractéristique peut-être, c’est la coïncidence de ce rapprochement de l’Allemagne et de l’Autriche avec le mouvement intérieur qui s’accom-