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pourrait dire qu’il y a le même lien entre les idées antérieures amassées dans le cerveau du savant et l’idée qui survient, qu’il y en a entre la conséquence et les prémisses du syllogisme.

Ne parlez donc plus de hasards ; il n’y en a d’heureux que pour ceux qui en sont dignes. L’idée féconde, quelque fortuite qu’elle paraisse dans le fait qui la suscite, ne ressemble point du tout à la pierre qui se détache du toit et qui tombe sur la tête d’un passant. La pierre tombe indistinctement sur la première tête venue. Il n’en est pas de même de l’idée. Combien il en tombe qui ne rencontrent point de tête ! — Assurément, c’est à la chaleur d’une conversation, à une dispute, à une lecture, un mot, un fait accidentel, qu’on doit souvent le premier soupçon d’une vérité : mais à qui ce soupçon vient-il ? A un Galilée ou à un Newton. Par eux-mêmes les accidens de ce genre ne produisent rien, pas plus que la pioche du manœuvre qui fouille les mines de Golconde ne produit le diamant qu’elle en fait sortir. Les hommes de génie sont bientôt comptés, et les accidens stériles sont innombrables. Lorsqu’on demanda à Newton comment il avait découvert le système du monde, il ne répondit point : Par hasard, mais il répondit : En y pensant beaucoup. Un autre aurait ajouté : et parce qu’il était lui[1].

Ce qui me frappe dans cette théorie de la découverte scientifique, que Diderot ravit à l’empirisme aveugle et mesquin d’Helvétius, c’est son étonnante conformité avec celle que nous exposait récemment un des esprits les plus inventifs de ce temps.

Notre illustre Claude Bernard, avec plus de précision dans les exemples et les détails de l’opération, attribue lui aussi la part principale, je dirais volontiers unique, à l’idée et au sentiment, qui est la source de cette idée et que le fait accidentel vient seulement provoquer du dehors. L’observation d’un fait survenu le plus souvent par hasard et qui attire l’attention, parce qu’elle était déjà préparée et comme en éveil ; une idée qui surgit avec une énergie irrésistible et qui se résout en une hypothèse sur la cause probable du fait observé ; un raisonnement engendré par l’idée préconçue et d’où l’on déduit l’expérience propre à la vérifier : voilà toutes les phases de la découverte. Le ressort en est dans l’idée directrice. « C’est elle qui constitue le primum movens de tout raisonnement scientifique, et c’est elle qui en est également le but dans l’aspiration de l’esprit vers l’inconnu. » Mais cette idée elle-même, qu’est-elle sinon la réalisation d’un sentiment originel de la vérité qui, longtemps cultivé dans le silence, conduit inopinément à une conception féconde ? Son apparition a l’air d’être fortuite ou spontanée. Ne le croyez pas. De combien d’efforts obscurs, de quelles

  1. Pages 291, 368-372, 376 et passim.