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méditations inaperçues elle a jailli ! Et voyez comme les expressions de Claude Bernard se rencontrent avec celles de Diderot pour peindre ce merveilleux phénomène où éclate la grandeur de l’esprit. « Il arrive, nous dit le grand physiologiste, qu’un lait ou une observation reste très longtemps devant les yeux d’un savant sans lui rien inspirer. Puis tout à coup vient un trait de lumière. L’idée neuve apparaît alors avec la rapidité de l’éclair, comme une sorte de révélation subite[1]. »

N’est-ce pas là cette vive illumination, cet éclair subit et rapide dont nous parlait Diderot ? Il éclate dans certaines pages de cette Réfutation je ne sais quel vif sentiment d’un idéalisme intellectuel qu’excitent et provoquent les explications inférieures tirées du hasard ou du fait brutal. Pour lui aussi, ce qu’il y a de principal dans chaque grande découverte, c’est l’homme qui la fait. Les causes morales sont ici les vraies causes ; les causes physiques ne sont que l’occasion qui dans un million de cas reste stérile et qui n’agit que pour un seul esprit, parce que celui-là est préparé. Non, ce n’est pas le fait nouveau qui constitue la découverte, mais la signification du fait trouvée par l’esprit, l’idée qui se rattache à ce fait. Par eux-mêmes les faits ne sont ni féconds ni stériles, ni grands ni petits ; la grandeur n’est que dans l’idée qui les explique, la fécondité n’est que dans l’esprit qui conçoit l’idée. — Le plus grand éloge que nous puissions faire de la théorie de l’invention chez Diderot, n’est-ce pas de la rapprocher ainsi de celle de Claude Bernard ? Pour arriver à cette théorie, qui satisferait un Descartes ou un Leibniz, il fallait traverser bien des couches superposées de préjugés d’école ou de parti : ce n’était pas un facile effort de le faire, ce n’est ni un faible mérite de l’avoir fait ni un médiocre honneur.

Ces grands sujets, l’invention, l’art, la science, le talent, tous les emplois supérieurs et les hautes facultés de l’esprit trouvent dans Diderot un interprète à leur niveau. Il s’y élève, et malgré quelques défaillances, il s’y maintient par un enthousiasme sincère. Nul plus que ce philosophe de la nature n’a senti, nul n’a mieux exprimé, à certains momens, la grandeur de l’homme ; nul ne s’est préoccupé plus que lui, au dernier siècle, de rechercher l’origine et la nature du génie. Dans un beau fragment inédit qui se rejoint tout naturellement par le ton et par le sujet à la Réfutation d’Helvétius, il se demande quelle est cette mystérieuse essence, quelle est cette qualité d’âme particulière, secrète, indéfinissable, sans laquelle on n’exécute rien de très grand ni de très beau. « Est-ce l’imagination ? Non, répondit Diderot. J’ai vu de belles et fortes imaginations qui promettaient beaucoup, et qui ne tenaient rien

  1. Introduction à la Médecine expérimentale.