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questions encore controversées de nos jours, elle y touche avec une telle hardiesse de solutions (radicales qu’on nous permettra d’y insister tout particulièrement. Nous y retrouverons la plupart des doctrines et même des passions contemporaines dont l’enseignement public est l’objet.

Le Plan d’une université est précédé d’un Essai sur les études en Russie, qui paraît être l’ébauche ou l’occasion de l’ouvrage futur. Dans cet Essai, du reste très court, Diderot constate que les meilleures écoles se sont établies dans les pays protestans. « C’est donc là, dit-il, qu’il faut chercher les meilleures et les plus sages institutions pour l’instruction de la jeunesse. » Il examine, à cette occasion, les trois sortes d’écoles établies en Allemagne : les premières, les Rechen-Schulen, les écoles à lire, à écrire, à compter, — puis les gymnases, et enfin les universités. Les renseignemens qu’il nous donne sont exacts et fort intéressans pour l’époque. L’avidité d’apprendre, la curiosité de Diderot, le servent bien dans cette circonstance. Il a mis à profit l’expérience de son ami Grimm, ses entretiens avec le prince Henri de Prusse, les Nassau-Saarbrück, avec les jeunes Allemands qui le visitent à Paris, et aussi toutes les informations qu’il a prises de droite et de gauche en traversant l’Allemagne pour se rendre en Russie. Le Voyage en Hollande avait déjà montré avec quelle passion de science encyclopédique et quelle activité d’esprit il étudiait dans les pays nouveaux, en philosophe pratique, en économiste plus qu’en artiste, les mœurs, les coutumes, les institutions, les établissemens publics, l’état du commerce et de l’industrie. Rien de tout cela ne se perdait dans sa vaste mémoire ni dans le recueil de notes où chaque fait avait sa place. — Déjà dans cet Essai percent quelques critiques où s’annoncent les idées nouvelles qui se feront jour plus tard. Il reproche aux gymnases allemands de donner trop de temps à l’étude des langues anciennes et de n’y pas mêler assez de connaissances utiles, « En général, dans l’établissement des écoles, on a donné trop d’importance et d’espace à l’étude des mots ; il faut lui substituer aujourd’hui l’étude des choses[1]. »

Diderot devance sur ce point les réformateurs de notre temps. Il les devance aussi sur cet autre, à savoir que l’étude des langues est devenue et devient tous les jours d’une telle étendue, qu’il ne sera plus possible à l’esprit d’y suffire. Un des prochains résultats de ce mouvement de la société moderne sera l’abandon des langues anciennes pour les langues modernes. Le français, l’italien, l’anglais, l’allemand, sont aujourd’hui quatre langues presque essentielles à l’homme qui a joui d’une éducation libérale.

  1. Tome II, page 421.