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honneur à la vigueur d’intelligence qui s’y est déployée en pure perte ? Non. Diderot l’avait bien senti, le génie n’est pas un produit, une résultante, à moins que vous ne mettiez au fond de votre creuset, dans la somme des principes composans, une force centrale et dominante que n’expliquera aucune transformation de mouvemens matériels, aucune composition extraordinaire de la matière. Le génie est avec l’héroïsme la forme la plus éclatante de la personnalité humaine : cela est tout à fait distinct du tempérament et de la race, de toutes les influences de l’hérédité physiologique et du milieu, de toutes les particularités de l’organisation cérébrale. Toutes les théories positives viennent échouer là. Si vous les placez en face du résultat qu’elles veulent expliquer, elles se déconcertent ; elles ne font que mettre plus clairement en lumière par l’insuffisance de leurs explications cet élément individuel qui est la marque du grand homme et qui ne se laisse réduire à aucune des influences connues de la nature. Elles le signalent par leur silence même ; elles le démontrent en prétendant s’en passer. A moins qu’on ne dise avec Diderot : « La conformation de la tête, des viscères, la constitution des humeurs ? tout cela est à merveille et j’y consens, à la condition qu’on avouera que ni moi, ni personne n’en a la moindre idée. »


II

A peine Diderot achevait la Réfutation d’Helvétius, qu’il se mettait à la préparation d’un ouvrage d’un genre très différent, le Plan d’une université pour le gouvernement de Russie, qui fut écrit en 1776 et qui n’a jamais été, jusqu’ici, connu en France dans toute son étendue et dans la gravité exceptionnelle des questions qui y sont posées et résolues. Encore ici Diderot est un précurseur comme pour l’idée du transformisme. C’est là un des trois ouvrages les plus considérables qui font le prix de l’édition nouvelle. On nous dit qu’en 1813 le manuscrit original avait été communiqué par Suard à M. Guizot, alors rédacteur des Annales de l’éducation, qui en donna un extrait. Ce manuscrit, de cent soixante-dix pages, entièrement écrit de la main de Diderot, surchargé de ratures et de corrections, fut remis, à la mort de M. Suard, entre les mains de sa veuve, qui, probablement, le détruisit. Mais la copie définitive avait été envoyée à sa destination, et c’est sur cette copie, retrouvée à l’Ermitage, que l’ensemble du travail a pu être reconstitué. Pour ne pas troubler l’exposition et la discussion des idées de Diderot en matière de pédagogie, nous ne distinguerons pas ce qui a été déjà publié de ce qui est inédit, et nous considérerons l’œuvre dans son intégrité, sans nous occuper davantage des publications partielles qui en ont été faites. Elle touche d’ailleurs à tant de