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utile et de plus en plus apprécié, poursuit un but spécial qui n’a rien à voir avec le système général d’études que nous propose Diderot et dans lequel il veut emprisonner confusément toutes les classes et toutes les intelligences.

Nous revenons ainsi à la thèse principale de Diderot. Faut-il ne faire de l’enseignement littéraire qu’un enseignement subordonné, arrivant le dernier dans le programme des études et pouvant être supprimé pour la plupart des élèves ? Faut-il déplacer l’axe de l’éducation, le mettre dans les sciences plutôt que dans les lettres où il a été de tout temps ? Remarquez que ceux-là même qui refusent de se ranger à cet avis ne contestent pas la nécessité de faire sa place à l’enseignement mathématique dans les études ; ils soutiennent seulement que cette place ne doit être ni prédominante ni exclusive. La question se réduit à cette excellente distinction entre l’éducation libéraient l’éducation professionnelle, l’une qui fait de la science un instrument pour le perfectionnement de l’esprit, l’autre qui fait de l’esprit un instrument pour les applications de la science. Si c’est l’esprit que nous considérons en lui-même, si c’est son développement harmonieux et intégral, non exclusif et subordonné que nous poursuivons, la question sera bientôt résolue. C’est le fond qu’il faut cultiver, le fond tout entier, tout l’ensemble des facultés ; c’est le raisonnement qu’il faut exercer sans doute et la mémoire, mais c’est le jugement aussi, c’est la comparaison, c’est l’analogie, c’est te sens pratique et c’est aussi le goût, c’est l’imagination, c’est le sens du réel en même temps que celui de l’idéal.

Diderot calomnie l’enseignement littéraire quand il le réduit à la science des mots. Est-ce pour enseigner des mots qu’on enseigne les langues anciennes ? J’en appelle aux maîtres distingués de nos lycées. Est-ce à un enseignement verbal que se réduit leur travail si intelligent et si fertile, quoi qu’on en dise, en résultats ? Non, c’est l’activité interne de l’esprit qu’ils provoquent dans leurs élèves par leurs réflexions : c’est la fécondité de leur intelligence qu’ils excitent, qu’ils dirigent et qu’ils règlent. — On ne va pas à l’école des langues anciennes, ces vieilles institutrices de l’humanité civilisée, pour y apprendre des mots, comme semble le croire Diderot, pour enrichir son vocabulaire ou transformer sa mémoire en un dictionnaire vivant ; mais, en les étudiant, on forme son esprit, on le façonne, dans le commerce avec les plus belles langues du monde, à cette logique admirable du langage qui traduit les opérations les plus hautes et les plus délicates de l’esprit. Dans les mots, ce que l’on étudie, c’est l’idée ; dans la proposition grammaticale, c’est la comparaison des idées, c’est le jugement ; dans une suite de propositions, c’est un enchaînement de jugemens, c’est l’induction,