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c’est le raisonnement lui-même, mais le raisonnement revêtu de formes vivantes et animé par le génie et la passion ; enfin dans ces figures de langage discréditées par un pédantisme maladroit, c’est le sens de l’analogie qui se développe et s’exerce, c’est le sens du symbolisme universel qui fait retrouver dans la nature vivante les plus belles images du monde invisible, c’est enfin le mouvement même de l’âme de l’orateur ou de l’écrivain, qui n’est que le mouvement de l’âme humaine transporté sur une scène idéale et à de plus grands sujets. C’est ainsi que l’étude des langues, bien interprétée, bien comprise, s’applique merveilleusement à l’éducation libérale des jeunes esprits, loin de les rebuter et de les accabler sous le poids d’une scolastique stérilisante, comme Diderot leur en fait le reproche.

Que dire des lettres elles-mêmes, bien plus fécondes encore pour l’enseignement, quand il est dirigé comme il doit l’être, ce qu’il faut toujours supposer dans cet ordre de questions ? C’est la poésie, c’est l’éloquence qui parlent à l’homme de l’homme lui-même, de ses sentimens, de sa grandeur et de ses faiblesses, de sa volonté héroïque ou pervertie ; elles marquent le premier éveil dans l’enfant du sens intérieur et supérieur de la vie ; elles lui en révèlent la valeur possible et le prix infini ; elles lui en donnent les plus beaux modèles. Tout cela est inutile, s’écrie Diderot, l’apôtre de l’éducation industrielle et utilitaire qui fleurit de nos jours. — En effet, rien de tout cela n’a une utilité immédiate. L’enseignement, et ici Diderot a raison, n’est pas fait pour être une école d’orateurs et de poètes ; ni le génie, ni le talent même ne doivent être un but pour l’éducation. Mais n’est-ce rien que d’avoir exercé, façonné, élevé l’esprit de l’enfant, et n’est-ce pas précisément ce but que l’éducation doit poursuivre ? La grande utilité est là précisément, dans le désintéressement de cette éducation libérale qui prépare l’homme. L’utilité immédiate et professionnelle viendra plus tard, et le jeune homme y apportera, quand le temps sera venu, un instrument façonné et dispos, son esprit même, s’il a voulu l’appliquer pendant ses années de collège et s’il veut l’appliquer dans les carrières libérales où il doit entrer. Rien ne lui sera devenu difficile : il aura appris le travail sous sa forme la plus élevée.

Mais l’enfant pourrait-il vraiment profiter de l’enseignement de ces maîtres incomparables, les grands écrivains de l’antiquité, ces témoins des civilisations antiques dont nous sommes les héritiers, pénétrer dans leur intimité et dans leur âme, si l’on applique jamais les méthodes abréviatives, tant préconisées aujourd’hui ? Qu’on diminue quelques heures dans les cours, qu’on retranche même une classe ou deux au latin, dès le début de l’enseignement, pour faire leur juste place aux sciences et aux langues vivantes, je n’y