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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/187

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croire à l’union des partisans de Douglass et de Breckinridge. En réalité, ces derniers seuls étaient en faveur de l’esclavage ; Douglass et ses adhérens, sans le répudier d’une façon absolue, déclaraient hautement qu’ils n’en désiraient pas l’extension et entendaient laisser au libre choix des nouveaux territoires le droit de l’adopter ou de le repousser. Les 845,000 voix données à Breckinridge représentaient donc exactement la force numérique du sud et le chiffre des adhérens décidés à lui rester fidèles. Les 1,375,000 électeurs de Douglass se décomposaient en démocrates indifférens ou même hostiles aux tendances esclavagistes, et en américains dissidens qui n’avaient pas suivi les chefs du parti dans leur alliance avec les républicains.

La force trancha la question, et le sud fut vaincu. En 1865, au lendemain de la guerre, vingt-sept états votèrent le treizième amendement qui supprimait l’esclavage, et qui prit place dans les articles organiques de la constitution américaine. Cet amendement consacrait le triomphe du parti républicain et n’était que la conséquence logique des faits accomplis, mais on ne devait pas s’en tenir là. Trois ans plus tard, sous la présidence de Johnson, le congrès adoptait un quatorzième amendement en vertu duquel le droit de suffrage était accordé aux nègres. Il décrétait en outre qu’aucun des habitans du sud ayant pris part à la guerre de sécession ne pourrait occuper un emploi public ; que la dette confédérée demeurait nulle et non avenue, et qu’aucune compensation pécuniaire ne serait accordée aux propriétaires d’esclaves à titre d’indemnité. Enfin, en 1870, sous la présidence du général Grant, un quinzième amendement déclara garantir à tout hasard le droit de vote, sans distinction de race, de couleur ou de servitude antérieure, et le placer sous la protection des lois et de la force armée. Par ces mesures rigoureuses, le parti républicain, maître du sénat, de la chambre des représentans et du pouvoir exécutif, entendait rendre impossible toute nouvelle tentative de sécession en s’assurant, dans les anciens états à esclaves, le concours des noirs dont il avait été l’émancipateur et dont il se constituait le protecteur. A défaut de reconnaissance, on estimait que l’intérêt de ces derniers était de faire cause commune avec les républicains et que leurs votes, désormais acquis à la cause du nord, annuleraient ceux des blancs dans le sud. Il faut ajouter qu’en fait la clause relative à l’incapacité d’occuper les emplois publics frappait les planteurs en masse. Tous en effet avaient pris fait et cause pour le gouvernement confédéré, toute la partie intelligente et éclairée de la population l’avait soutenu. L’ostracisme qui l’atteignait avait donc pour conséquence de remettre les emplois locaux entre les mains soit des petits blancs, comme on désignait les ouvriers et les artisans