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posa en champion des droits du peuple. Élu, malgré une violente opposition, à l’assemblée législative de l’état, en 1853, par le parti démocrate auquel il appartenait alors, il réussit en 1859 à se faire nommer sénateur au congrès. Lors de la guerre de sécession, il rompit ouvertement avec son parti et passa dans les rangs des républicains, dont il considérait le succès comme certain. Brigadier général de la milice de l’état, il prit une part active aux événemens de la lutte, fut successivement gouverneur militaire de Baltimore, du fort Monroë, et enfin de la Nouvelle-Orléans. La guerre terminée, le parti républicain le nomma membre du congrès.

Malgré sa grande fortune personnelle et sa haute situation politique, Butler était resté l’ennemi de l’aristocratie locale, une sorte de tribun du peuple autoritaire, absolu, d’ailleurs toujours et profondément imbu des rancunes et des haines de sa jeunesse. Ses adversaires d’autrefois n’avaient pas plus changé que lui. Ils lui reprochaient amèrement de s’être enrichi par la concussion pendant la guerre. La vérité était que Butler, après l’occupation de la Nouvelle-Orléans par la flotte de l’amiral Farragut, avait déclaré prise de guerre les navires sous pavillon confédéré qui se trouvaient alors dans le port, qu’il avait ainsi fait répartir à titre de butin 6 millions de francs entre les officiers et matelots de l’escadre, et qu’il avait réclamé pour son compte et obtenu près de 500,000 francs. L’exercice de sa profession lui avait en outre rapporté des sommes considérables, et l’on évaluait sa fortune à plusieurs millions.

Tels étaient les antécédens de l’homme qui entreprenait de relever le parti démocrate dans l’état de Massachussets inféodé jusqu’alors aux républicains, d’en prendre la direction, de se faire nommer gouverneur et de poser sa candidature à la présidence de l’Union. Ce fut le 30 août dernier, à Lowell, dans un meeting public, que le général Butler annonça hautement ses projets de rallier en un faisceau commun les forces du parti démocrate, les greenbackers et les socialistes, pour combattre à leur tête le parti républicain, qui le considérait comme un de ses adhérens les plus compromis. Si nous insistons de préférence sur les détails de la campagne électorale dans le Massachussets, c’est que l’évolution hardie de Butler et la notoriété du candidat lui donnent un intérêt particulier, et qu’elle nous semble résumer, mieux que toute autre, ce qui se passait alors dans chacun des états appelés à procéder à des élections générales. Si la lutte était partout engagée sur le terrain que nous avons défini, si partout les mêmes passions se trouvaient en présence, nulle part elles ne s’accusaient avec autant de netteté et n’avaient plus de retentissement.