Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

a besoin de consommer beaucoup de quinine pour calmer le battement précipité de son pouls.

On n’a pas encore découvert qui a dit le premier : Credo quia absurdum. Quel que soit l’inventeur de cet étrange aphorisme, son paradoxe n’a fait fortune que parmi les théologiens. En ce qui concerne les choses de ce monde, la plupart des hommes répugneront toujours à tenir l’absurde pour vrai, à moins qu’ils n’y trouvent leur profit, et voilà pourquoi il est difficile d’admettre que, si M. de Bismarck n’avait pas couru à Vienne, l’empire germanique serait aujourd’hui à la merci des mystérieux conspirateurs qui méditaient de lui porter un coup mortel. En revanche, ce qui est parfaitement admissible et même certain, c’est que M. de Bismarck a pleinement réussi dans la mission qu’il avait jugé à propos de se confier à lui-même. Son voyage a joint l’utile à l’agréable. Non-seulement il a été reçu à Vienne en ami, en triomphateur, et il a constaté par ses propres yeux jusqu’où les peuples peuvent pousser la faculté de l’oubli ; mais il a obtenu sans effort du gouvernement austro-hongrois tout ce qu’il demandait, tout ce qu’il pouvait désirer. Les mécontens, les boudeurs, ceux qui n’oublient pas, ceux qui sont incommodés par leur mémoire, tourmentés par la ténacité de leurs souvenirs, en ont été réduits à se taire. Sur ce point il ne subsiste aucun doute, c’est un fait qui demeure acquis à l’histoire, et voilà ce qui prouve combien les temps sont changés.

Au mois d’avril 1867, lorsque l’affaire du Luxembourg était encore pendante, un diplomate bavarois, le comte Tauffkirchen, fut chargé d’une mission qui excita vivement l’attention de l’Europe. De Munich il se rendit à Berlin, où il conféra longuement avec M. de Bismarck, qui le munit de ses instructions, après quoi il s’achemina sur Vienne pour s’y acquitter d’un message qui pouvait sembler audacieux. Peu de mois après Sadowa, il allait au nom du vainqueur solliciter le vaincu de faire acte de complaisance à son égard en se prêtant bénévolement au projet qu’on avait formé à Berlin de rattacher étroitement les états du sud à la confédération du nord. Il allait aussi proposer au cabinet de Vienne un traité d’alliance avec la Prusse ou de sauvegarde réciproque, en vertu duquel les deux états s’engageraient à se protéger l’un l’autre contre tous les accidents qui pouvaient survenir.

M. de Beust déclina dans les termes les plus courtois, mais les plus nets, les propositions qui lui étaient apportées de Munich et de Berlin. Sa réponse pouvait se résumer ainsi : « Je comprends très bien ce que vous nous demandez, je comprends moins bien ce que vous pouvez nous donner en échange. Vous nous offrez une garantie contre des dangers qui peuvent nous sembler imaginaires, et vous désirez d’autre part que nous nous exposions dans votre intérêt à un danger certain en nous brouillant avec la France. Si nous accueillions vos ouvertures, vous