Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/224

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’auriez peut-être à nous donner en retour de nos sacrifices qu’un exemplaire du traité de Prague superbement relié. » Quelques jours auparavant, M. de Beust avait répondu au ministre de Bavière à Vienne, qui avait reçu l’ordre de le pressentir et de préparer les voies au comte Tauffkirchen : « Je ne puis vous épargner l’expression de mon étonnement ? comment ne serais-je pas surpris de voir l’Allemagne recourir si vite aux bons offices de l’Autriche ? On nous a mis à la porte de la maison et on nous demande de l’assurer. » Il ajoutait dans une dépêche datée du 6 avril : « Ni les passions, ni les sentimens, ni les souvenirs historiques, ni les événemens de 1866, ni ceux qui purent se passer il y a mille ans, n’exerceront aucune influence sur nos résolutions futures, et nous ne prendrons jamais en considération que la sûreté d’abord et ensuite que l’intérêt de la monarchie autrichienne. Quant à nous imposer au profit de nos anciens confédérés des obligations et des charges qui ne seraient pas rachetées par une compensation absolument équivalente, c’est une pensée qui ne nous viendra point. » Le comte Tauffkirchen échoua d’emblée dans sa négociation, et M. de Bismarck dut s’en tenir à l’alliance russe, dont il a su tirer au demeurant un admirable parti.

Ce qui était impossible en 1867 s’est trouvé possible douze ans plus tard. Le temps a fait son œuvre, les ressentimens se sont émoussés, les passions se sont refroidies, et ceux qui avaient juré de ne jamais oublier n’ont plus voix au chapitre. Il y avait jadis à Semerve, comme chacun sait, un juge de paix nommé Perrin Dandin, homme honorable et de crédit, bon laboureur, bien chantant au lutrin, « lequel disait avoir vu le grand bonhomme Concile de Latran avec son gros chapeau rouge et la bonne dame Pragmatique Sanction, sa femme, avec ses grosses patenôtres de jayet. » Ce juge de paix pacifiait par ses conseils plus de différends qu’il n’en était vidé en tout le palais de Poitiers et en la halle de Parthenay-le-Vieux, ce qui le rendait vénérable partout et lui avait valu le surnom d’appointeur de procès. Son fils essaya d’en faire autant, mais sans succès ; à ce que dit l’histoire, il irritait et aigrissait toutes les affaires qu’il se mêlait d’arranger. Pour consoler son amour-propre, son père lui dit un jour : « Dandin, mon fils, tu n’appointes jamais les différends. Pourquoi ? Tu les prends dès le commencement, étant encore verts et crus. Je les appointe tous. Pourquoi ? Je les prends sur leur fin, bien mûrs et digérés. »

Dulcior est fructus post multa pericula ductus.

Sans contredit M. de Bismarck est supérieur à tout le monde dans l’art de négocier, autant que Perrin Dandin l’emportait sur son fils ; mais si en 1870 il a réussi à son gré dans la négociation que le comte