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diplomatique de Berlin. M. de Bismarck ne souffre pas qu’on l’interroge, et pour avoir le droit de l’approcher, il faut être député. C’est avec les membres du Reichstag qu’il dépense les 6,000 thalers qui lui sont alloués pour frais de représentation. Non-seulement M. de Bulow donnait à dîner aux diplomates, et il puisait dans sa bourse pour les bien traiter ; mais il était accueillant, affable, il répondait aux questions qu’on lui faisait. Bien qu’il fût aussi docile que M. de Bismarck pouvait le désirer, il avait conquis une sorte d’autorité, et les renseignemens qu’il fournissait aux ambassadeurs et aux ministres plénipotentiaires avaient quelque valeur. Tant que cet homme d’un mérite aimable n’aura pas été remplacé, il n’y aura plus de bureau d’informations à Berlin, et on saura moins que jamais ce que M. de Bismarck est capable de faire dans un an.

Ce qu’on peut affirmer, c’est que jusqu’à l’heure plus ou moins prochaine où sera voté le budget de l’armée, la politique de l’épouvantail sera à l’ordre du jour dans toute l’Allemagne, que les journaux officieux réveilleront de temps à autre ses inquiétudes en lui montrant du doigt le sombre nuage qui s’amasse sur la Vistule. L’Allemagne se laissera persuader, elle croira au nuage et à la comète :

Nous l’avons, en dormant, madame, échappa belle.


Aussi, quand le moment sera venu, il se trouvera dans le Reichstag une majorité composée de conservateurs et de patriotes pour voter sans l’amender le budget qu’on lui proposera. Peut-être alors le prince Gortchakof aura-t-il de guerre lasse renoncé aux affaires, peut-être son successeur sera-t-il un homme agréable au chancelier de l’empire allemand, le comte Schouwalof par exemple, et un rapprochement s’opérera sans effort entre Berlin et Saint-Pétersbourg. Si l’on s’en plaignait à Vienne, M. de Bismarck répondrait à tout ce qu’on pourrait lui dire par sa théorie sur l’élasticité et l’extension des amitiés. Il expliquerait que tour à tour les unes décroissent tandis que les autres s’accroissent, il ajouterait que la politique est chose ondoyante et diverse, que tout dépend des circonstances et qu’au surplus il n’y a de marchés valables que ceux où le notaire a passé. Il y eut autrefois un roi de Suède qui fit un voyage à Rome ; il était grand amateur d’antiquités, mais un peu dur à la détente, et les Romains, qui sont nés malins, disaient de lui qu’il voyait tout, achetait peu et payait moins encore : Tutto vede, poco compra e meno paga. Tout examiner, tout essayer, avoir l’œil à tout, mais n’acheter jamais qu’à bon escient et payer toujours le moins possible, c’est là le fond de la diplomatie réaliste.


G. VALBERT.