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Il est temps aussi que le parti républicain comprenne et pratique le gouvernement parlementaire dans toute sa vérité. Ce n’est point assez de dire que ce gouvernement est aussi nécessaire à la république qu’à la monarchie constitutionnelle, il l’est encore plus, par la raison que la démocratie a bien plus besoin que tout autre régime de la tutelle d’un parlement. La souveraineté du peuple, dans une démocratie bien entendue, consiste, non à se gouverner lui-même, mais à choisir ses gouvernans. Un corps électoral restreint, sans être tout à fait l’élite d’une nation, en forme la portion la plus généralement intelligente, et il s’y produit toujours une opinion qui agit et réagit sans cesse sur la direction de la politique parlementaire, non pas pour la gêner, mais pour l’éclairer, l’encourager ou l’avertir. C’est un conseiller assez sûr qui ne manquent pas de consulter les élus du pays légal, ministres, sénateurs ou députés. La politique des cabinets et des parlemens ne peut attendre de telles communications du suffrage universel, qui lui laisse une parfaite liberté d’action et une entière initiative. On peut y apercevoir sans doute des signes précurseurs d’un changement général et profond. Mais ces symptômes n’ont point la clarté des manifestations de l’opinion des classes éclairées, ce qui fait que la tempête surprend plus souvent les gouvernemens démocratiques que les autres. A la réaction du sentiment populaire il n’y a pas de gouvernement qui puisse résister. Il n’en reste pas moins vrai que le gouvernement d’une démocratie est le plus libre de tous, par la raison que le souverain le laisse à peu près tout faire, jusqu’à ce qu’il lui enlève brusquement et parfois violemment le pouvoir. Et puisque ce gouvernement n’a pas de conseiller au dehors, il a besoin d’en trouver dans le sein du parlement. C’est ce qui fait que le gouvernement parlementaire est plus nécessaire à la démocratie républicaine qu’à tout autre régime.

C’est encore le plus facile à pratiquer sous un tel régime, quoi qu’on ait pu dire. Dans un corps électoral restreint, les influences électorales se font bien plus sentir que dans le grand corps qui comprend le pays tout entier. Les électeurs de l’un sont bien moins gênans, bien moins puissans que les électeurs de l’autre. Les gouvernemens ont bien moins à compter avec les aspirations vagues des masses qu’avec les prétentions intéressées, nettement définies des corps privilégiés. On l’a vu sous la monarchie parlementaire, où des réformes réclamées par l’intérêt général étaient repoussées trop souvent par les intérêts privés, comme la conversion des rentes, le service obligatoire, le libre échange, etc. Si ces résistances se produisent encore aujourd’hui, il est certain qu’au moment opportun le gouvernement et le parlement auront moins de peine à les vaincre,