Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Rome, dieux immortels, vous eût sans doute paru trop puissante si elle eût conservé le présent que, dans votre clémence, vous aviez daigné lui faire. »

L’heure est à ces rapprochemens douloureux, et, puisque l’histoire elle-même m’y convie, qu’il me soit permis, sans manquer aux devoirs de ma situation, d’adresser ici le tribut ému de mon fidèle respect à la grande et touchante infortune dont, le cœur navré, je n’ai pas été le dernier à prendre ma part. Les âmes généreuses, j’en suis sûr, me comprendront et la générosité ne peut avoir cessé d’être une vertu française. « Cet humble Ilion, image de la superbe Troie » qui emporta jadis, avec ses dieux Lares, le culte et le regret de la patrie absente, est devenu le séjour des larmes. Un soldat du cruel Ulysse lui-même en serait touché. Mon métier n’est pas de philosopher ; ce n’est pas pour cela que je fus envoyé, il y a plus d’un demi-siècle, à l’école navale. Je ne puis me défendre cependant de glisser quelquefois sur la pente où tant d’autres qui ne s’y sont guère mieux préparés que moi s’aventurent ; mais que vaut la philosophie dans de pareilles épreuves ? Qu’elle cède la parole à la chaire chrétienne. C’est de là seulement que tomberont les vraies consolations. Quiconque a souffert pensera comme moi. Il pourrait y avoir pour les heureux plus d’une religion ; le christianisme seul est la religion de la douleur. Je n’ignore pas qu’il est assez de mode aujourd’hui de se réfugier dans le panthéisme ; ma faiblesse ne saurait s’accommoder d’un pareil asile. Que d’autres contemplent les cieux et y cherchent dans une muette admiration la main du Créateur, la création, je n’essaierai pas de le cacher, ne m’a jamais attiré que par les manifestations de la vie. Les caresses du chien, la gaîté des oiseaux, parlent plus à mon cœur que la pyrrhique éternelle des astres. Les fleurs et les arbres, ces êtres vivans d’un ordre inférieur, ont eux-mêmes leur langage ; les points d’or qui constellent la voûte du firmament, je les interroge en vain ; ils se contentent de briller d’un éclat monotone et ne me rendent pas sensation pour sensation. Un beau jour, une nuit sereine, peuvent caresser mes sens ; ils ne ravissent pas mon esprit. Le culte de la matière a sa poésie peut-être : Foin de cette poésie brutale qui voudrait me réduire au rôle d’atome ! L’homme est tellement resté pour moi le roi de l’univers que j’ai quelque peine à me figurer l’auteur de la vie sans le façonner à notre image. Je vois sans cesse ce principe suprême, attentif à nos actes, entrant dans nos querelles, ne refusant son intérêt ni à nos travaux, ni à nos passions, ni à nos vertus. Je l’abaisse jusqu’à moi ; n’est-ce pas un détour pour m’élever plus sûrement jusqu’à lui ?

It must be so, Plato, thou reason’nt well.