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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/339

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enfin surgir, comme Aphrodite, du sein de cette écume ? Je le souhaite de grand cœur, et, qui plus est, je l’espère. Deux tubes creux et insubmersibles, un plancher supporté par deux pirogues de tôle, nous faut-il davantage pour jeter sur la rive des soldats, des canons, et même au besoin des chevaux ?

L’héritage d’Alexandre est de nouveau ouvert ; les capitaines qui veulent en prendre leur part ne s’appellent plus Antigone, Cassandre, Séleucus ou Ptolémée ; les noms n’y font rien, l’ambition est restée la même. Quand les soleils se heurtent, la pression est à craindre pour les planètes voisines ; munissons-nous, pendant qu’il en est temps encore, d’une bonne provision d’élasticité, nous en aurons peut-être besoin plus tôt que nous ne pensons. Des flancs déjà meurtris ne sauraient être trop soigneusement gardés des effets inconnus d’un second choc. O le temps périlleux que celui où le ciel nous fit naître ! Le darwinisme a trouvé en politique même des adeptes, et, sous prétexte de lutter pour l’existence, on supprime aujourd’hui, avec une légèreté que les siècles précédens n’avaient pas connue, l’existence des autres. Soyons donc forts, puisqu’on ne peut plus être assuré de vivre, si l’on se résigne à demeurer faible ! Forts ? à quelles conditions, me demanderez-vous sans doute, peut-on l’être ? combien de millions de soldats faut-il aujourd’hui pour faire une armée ? La question fut, on s’en souvient, posée, il y a déjà plus de dix ans, à Compiègne. Je réponds : « Les soldats sont le bouclier ; nous avons deux mains : placez dans l’une de ces mains le javelot, si vous n’y voulez placer la sarisse. Les coups de la marine peuvent atteindre l’ennemi à distance ; pourquoi négligeriez-vous un si commode et si vigoureux moyen d’action ? »

Chaque année voit s’exécuter sur une portion de notre territoire ce qu’on est convenu d’appeler les grandes manœuvres d’automne. A-t-on jamais songé à combiner dans ces simulacres de guerre l’action de la flotte et l’action de l’armée ? A-t-on prolongé durant des mois entiers, jusqu’au complet épuisement du charbon, un blocus fictif ? A-t-on appris à nos coûteux vaisseaux comment on se garde quand il faut croiser à portée des arsenaux ennemis et des bâtimens-torpilles ? Nos avisos ont-ils pu étudier de quelle façon doit se pratiquer le difficile et si important métier d’éclaireurs ? Le débarquement des troupes, des canons, des chevaux, a-t-il fait le moindre progrès depuis la guerre de Crimée ? Toute campagne d’évolutions qui n’est pas la répétition, dans ses détails multiples et dans ses phases diverses, d’une campagne de guerre, me paraît destinée à porter de médiocres fruits. Des amiraux illustres se sont, depuis vingt années, succédé à la tête du département de la marine ; ils savaient, je m’en rends garant, beaucoup mieux que moi, comment