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souffrance, toute provisoire, est nécessaire soit pour défendre le bonheur des autres, soit pour préparer son propre bonheur. Quelle est donc la seule idée vraie contenue dans le principe de convenance entre le mal et le malheur ? C’est que l’être imparfait, laid, hideux par l’effet d’un désordre de sa conscience, doit avoir conscience de ce désordre même pour pouvoir y mettre fin. Or, pour cela, on pense que la souffrance est parfois un moyen. Toute souffrance, en effet, est la conscience d’un trouble de nos fonctions vitales ou intellectuelles, et elle entraine une réaction de l’être contre son mal intérieur, un effort libérateur vers le mieux. En désirant que le coupable sente sa propre imperfection, c’est donc son bien que nous désirons. Mais la seule souffrance qui soit une conscience salutaire du mal, c’est le regret du mal. Ce regret, en effet, n’est que la conscience même de la laideur morale, et il engendre le désir de la beauté morale. Or le caractère essentiel de cette conscience, c’est la spontanéité ; le propre de ce désir, c’est de ne pouvoir être infusé du dehors et de jaillir du fond même de l’être. Le vrai regret du mal est volontaire En même temps il est la seule peine vraiment morale, parce qu’il est au fond une guérison. Il est donc clair qu’ici le malade seul peut être son médecin à lui-même. Les autres peuvent bien éclairer son intelligence et l’instruire, mais c’est là une œuvre d’humanité qui ne saurait se confondre avec la justice pénale proprement dite.

En l’absence de la peine intérieure, de la souffrance volontaire et acceptée, qui dépend du coupable seul, on a conçu la possibilité de la provoquer par une souffrance extérieure et forcée, qui en a paru comme le succédané ou la préparation. Mais ici est le point délicat. Sans doute la souffrance venue du dehors donne parfois à l’homme pervers la conscience de son désaccord avec les autres consciences, avec tout le reste de la société. Il a fait une action injuste en vue d’un bien matériel, il est d’abord juste que ce bien lui soit retiré, que le mal ne réussisse pas même matériellement. De plus, la peine légale, quand elle est appliquée selon les règles d’une stricte justice, peut servir à provoquer en lui le regret de l’insociabilité, de la laideur et de la discorde morale. La peine du déshonneur, infligée par l’opinion publique, agit à son tour dans le même sens. Mais cet effet d’amélioration morale ou de correction est malheureusement rare : si la souffrance peut amender, elle peut aussi irriter ; si elle peut pacifier, elle peut aussi par réaction accroître l’état de guerre et le désir de la lutte. Enfin l’amélioration du coupable n’est qu’un des résultats possibles (et exceptionnels) de la pénalité, elle n’en est pas le but.

Supposez maintenant que telle ou telle peine extérieure soit en