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« — A vos ordres, Sire, lui répondis-je ; mais je n’ai pas l’espoir d’atteindre le but de ma mission.

« — Eh bien ! reprit Napoléon en me frappant sur l’épaule, savez-vous ce qui arrivera ? vous ne me ferez pas la guerre.

« — Vous êtes perdu, Sire, m’écriai-je vivement ; j’en avais le pressentiment en venant ici ; maintenant que je m’en vais, j’en ai la certitude. »

Dans les antichambres, je retrouvai les mêmes généraux que j’avais vus en entrant. Ils m’entourèrent afin de lire sur mon visage l’impression que j’emportais de cet entretien qui avait duré près de neuf heures. Je ne m’arrêtai pas, et je ne crois pas avoir donné satisfaction à leur curiosité.

Berthier m’accompagna jusqu’à ma voiture. Il profita d’un moment où personne ne pouvait nous entendre pour me demander si j’avais été content de l’empereur. « Oui, lui répondis-je, il m’a donné tous les éclaircissemens désirables ; c’en est fait de lui. »

J’appris dans la suite que, le même soir, en se retirant dans sa chambre, Napoléon avait dit à son entourage : ’ai eu un long entretien avec M. de Metternich. Il s’est vaillamment comporté ; treize fois je lui ai jeté le gant, et treize fois il l’a relevé. Mais le gant restera finalement dans mes mains. » J’ai tout lieu de croire qu’aucun des assistans ne fut rassuré par ce propos. Les courtisans les plus dévoués de Napoléon commençaient à douter de l’infaillibilité du maître. A leurs yeux, comme aux yeux de l’Europe, son étoile commençait à pâlir.

Un seul homme avait gardé pour l’empereur le dévoûment le plus fanatique et persistait dans l’aveuglement le plus opiniâtre que l’histoire ait peut-être jamais enregistré : c’était M. Maret (duc de Bassano). Ce ministre s’obstinait à vivre dans un monde idéal qu’il s’était créé, et dont le centre était le génie de Napoléon ; c’est à lui que le monde doit en grande partie son salut. M. de Bassano était alors détesté dans l’armée. L’incompréhensible opération de Napoléon contre Moscou lui avait procuré une position militaire ; c’est à lui qu’étaient adressés les rapports des chefs des différens corps, dont les communications avec l’empereur avaient été coupées. Ce qu’il pouvait faire pour eux n’était pas à dédaigner. Il disposait des ressources matérielles de la Lithuanie et de ce qui restait de celles du grand-duché de Varsovie. Pour le moment, il s’agissait moins de se battre que de vivre. M. Maret se crut tout-puissant ; il était persuadé qu’il ne pouvait que s’élever davantage grâce au génie de son maître. Je pus facilement le deviner dans une conversation que j’eus avec lui le lendemain de mon long entretien avec Napoléon. Je le trouvai dans mon salon, où il m’attendait depuis huit heures du matin. Quand je vis qu’il n’avait d’autre but que de paraphraser