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s’était éloignée de l’armée de Blücher. Forcés de quitter Troyes et de ; se retirer jusqu’à Bar-sur-Aube, les trois souverains tinrent une conférence à laquelle assistèrent, outre leurs majestés et leurs ministres, plusieurs généraux des armées alliées. On y discuta très vivement les mesures militaires à prendre.

Le roi de Prusse demandait avec instance qu’on réunît immédiatement les trois armées et qu’on marchât sans désemparer sur Paris. L’empereur François, le prince de Schwarzenberg et moi nous défendions un plan tout opposé. La marche que nous avions suivie jusqu’à ce jour avec tant de succès, et qui avait pour but d’épuiser peu à peu les dernières forces de Napoléon au lieu de faire dépendre l’issue de la campagne de la perte d’une bataille générale, semblait trop se recommander par elle-même pour devoir être abandonnée à la légère. Ce plan, qui donnait des résultats lents, mais sûrs, nous paraissait devoir conduire infailliblement au succès définitif : les événemens ont prouvé combien il était juste. Une raison secondaire venait s’ajouter à l’impatience du parti prussien. L’armée du maréchal Blücher se trouvait la plus rapprochée de la capitale ; elle ne rêvait que d’occuper Paris la première. L’exaspération des troupes prussiennes et de leurs chefs était telle, que ces derniers ne reculaient pas devant la perspective de voir Paris livré à la fureur des soldats, qu’il aurait été impossible de contenir après la victoire. Nous ne pouvions pas négliger dans nos calculs une considération de cette importance ; quand même la simple prudence ne nous eût pas défendu de faire dépendre l’issue de la campagne des hasards d’une grande bataille, que d’ailleurs Napoléon appelait de tous ses vœux, les projets que la Prusse nourrissait contre Paris, et qui n’étaient un mystère pour personne, auraient suffi à eux seuls pour nous empêcher de céder.

La séance fut très animée ; le roi de Prusse discuta même avec une certaine aigreur. L’empereur Alexandre hésitait à se prononcer. Ce ne fut qu’à la suite d’une déclaration énergique de l’empereur François, que j’appuyai avec autant de force que de liberté, que le tzar se convertit à nos idées. Il s’offrit à faire l’office de secrétaire, et je lui dictai les points convenus. Voici ce qui fut écrit : 1° on ne livrera pas la bataille près de Bar-sur-Aube ; 2° Blücher continuera son mouvement séparé ; 3° la grande armée continuera son mouvement par Chaumont et sur Langres ; 4° la continuation de ce mouvement dépendra des circonstances ; 5° avertir Blücher des mouvemens décidés pour la grande armée et des ordres qu’on a donnés à Wintzingerode et à Bülof d’être sous son commandement ; 6° donner à Wintzingerode et à Bülof les ordres en conséquence ; 7° donner à Blücher une latitude dans ses mouvemens, pourvu toutefois qu’une certaine prudence militaire soit observée. Aussitôt le