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Partisans de la Russie ; tout ce que demandait le comte de Broglie pour les partisans de la France, pour les patriotes polonais, lui était systématiquement refusé. Il ne put supporter plus longtemps l’humiliation de son pays au milieu d’un peuple dont il croyait mériter la reconnaissance ; il demanda son rappel et partit pour Versailles, le cœur déchiré, après sept ans de luttes qui n’avaient pas été sans gloire.


II

Qu’allait devenir la diplomatie secrète ? Instituée pour préparer l’avènement d’un prince français au trône de Pologne, elle n’avait pas même pu réussir à mettre hors d’atteinte la nationalité polonaise. A l’origine, elle répondait à une pensée politique mollement adoptée et plus mollement soutenue, mais néanmoins réelle ; après le retour du comte de Broglie, elle ne fut plus qu’un caprice du désœuvrement royal. Le comte continue à s’y intéresser, mais sans illusions sur les résultats politiques qu’on en pouvait attendre et avec l’espérance d’en tirer parti pour la fortune de sa famille, non pour les intérêts de son pays. Quoiqu’il soit encore tenu au courant de ce qui se passe à Varsovie, à Saint-Pétersbourg, à Stockholm, à Constantinople, et qu’il en informe encore le roi par une correspondance secrète, il ne s’agit plus pour lui de sauver la Pologne décidément abandonnée ; il s’agit de conserver la confiance du souverain et le droit de lui écrire des lettres qui ne passeront point par les mains des ministres.

Le moment où se termine la mission du comte auprès du roi de Pologne est décisif pour la maison de Broglie. L’incapacité des généraux successivement désignés par Mme de Pompadour, les échecs du prince de Soubise, du comte de Clermont, des maréchaux de Contades et d’Estrées, mettent en relief les talens militaires du duc de Broglie. Ni la favorite ni les courtisans ne l’aiment ; son caractère impérieux et dur lui crée partout des ennemis ; mais il paraît tellement supérieur à ceux qui viennent de commander avant lui les armées que la voix publique le désigne comme le seul homme qui soit en mesure de réparer nos désastres. Quelle joie pour le comte de pouvoir servir par ses intelligences secrètes avec le roi les intérêts du chef de sa famille ! Il connaît les défauts de son frère, il sait quels dangers lui fera toujours courir un excès d’orgueil et de hauteur ; il se réserve le pouvoir de le défendre et de le justifier auprès du souverain. Il reprend alors avec ardeur son ancien métier de soldat, il devient le chef d’état-major du duc de Broglie et en même temps qu’il le sert de près en lieutenant fidèle, il travaille de loin à maintenir son crédit à la cour.