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de Cicéron à Atticus. Combien je trouve nos auteurs dramatiques ampoulés ! .. Nous n’avons rien épargné pour corrompre le genre dramatique. Nous avons conservé des anciens l’emphase de la versification qui convenait tant à des langues à quantité forte et à accent marqué, à des théâtres spacieux, à une déclamation notée et accompagnée d’instrumens ; et nous avons abandonné la simplicité de l’intrigue et du dialogue, et la vérité des tableaux[1]. » Revenons à la simplicité, à la nature, et en même temps ramenons sur la scène un art dont les anciens connaissaient bien les ressources, la pantomime. Nous parlons trop dans nos drames et conséquemment, nos acteurs n’y jouent pas assez. On ne parle pas autant que cela dans la vie réelle. Beaucoup de sentimens s’expriment par les attitudes, par les gestes, par le silence même. Des situations pathétiques et fortes s’expriment par des groupes. Quelle carrière nouvelle pour nos acteurs et aussi pour la vérité de l’art qui ne doit être que la nature prise sur le fait et transportée à la scène ? « Qu’est-ce qui nous affecte dans le spectacle de l’homme animé de quelque grande passion ? Sont-ce ses discours ? Quelquefois ; mais ce qui émeut toujours, ce sont des cris, des mots inarticulés, des voix rompues, quelques monosyllabes qui s’échappent par intervalles, je ne sais quel murmure entre les dents… Dans cet état l’homme passe d’une idée à une autre, il commence une multitude de discours, il n’en finit aucun, et à l’exception de quelques sentimens qu’il rend dans le premier accès et auxquels il revient sans cesse, le reste n’est qu’une suite de bruits faibles et confus, de sons expirans, d’accens étouffés que l’acteur connaît mieux que le poète. »

Pour que cette réforme soit possible, il faut d’abord que l’auteur descende de cet empyrée où il va chercher de temps immémorial ses héros, ses princes, ses rois de tragédie et qu’il puise, dans la matière même de sa vie ou de la vie des autres dont il a le spectacle sous les yeux, les vraies douleurs et les vraies catastrophes qu’il doit nous peindre et qui nous toucheront d’autant plus que nous les sentirons plus réelles et plus voisines de nous. Il faut de plus renoncer au vers alexandrin et à son intolérable et monotone noblesse qui éloigne de nous le personnage et l’acteur, et les enferme tous deux dans une sphère inaccessible. Servons-nous de la prose pour exprimer des douleurs domestiques et des catastrophes bourgeoises. Elle seule leur convient. Laissons là l’emphase théâtrale. Laissons Œdipe, Iphigénie, Mithridate, Cornélie, Mérope, Pompée, déclamer en beaux vers, épiques plus que dramatiques, leurs idéales infortunes. C’est en prose que le vrai malheur doit s’exprimer ; les vrais sanglots doivent être des cris de la nature,

  1. Paradoxe sur le comédien, t. VIII, pp. 406 et passim.