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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/623

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l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, lord Stratford de Redcliffe. Un semblable procédé n’était pas tolérable pour un pays comme la France. Si les élections moldaves n’étaient pas annulées, l’empereur était décidé à rompre les relations diplomatiques avec la Turquie, et il était certain d’être suivi dans cette voie par la Russie, la Prusse et la Sardaigne. Le prince Albert ne pouvait répondre directement à la demande formulée par l’empereur. Il était obligé de laisser à lord Palmerston et à lord Clarendon le rôle actif dans une question déjà officiellement posée sur le terrain diplomatique ; mais il s’exprima de manière à faire comprendre que, s’il n’y avait pas entre les deux gouvernemens de question plus grave que celle des élections moldaves, on arriverait à s’entendre. Cette difficulté écartée, l’entretien, prenant un tour plus général, porta d’abord sur l’intégrité de la Turquie et ensuite sur la révision des traités de 1815.


Je demandai à l’empereur la permission de lui poser une question, à laquelle je le priai de me faire une réponse loyale et franche : « Votre intention est-elle de continuer à défendre l’intégrité de l’empire ottoman ? C’est là le principe fondamental de notre alliance avec vous ; c’est pour ce principe que nous avons fait tant de sacrifices de sang et d’argent, et nous sommes décidés à le défendre avec la dernière énergie. »

L’empereur me dit qu’il allait me répondre franchement et loyalement : « Si je parlais comme simple particulier, je vous avouerais que je n’ai aucune sympathie pour un aussi mauvais gouvernement que celui des Turcs. » Je l’interrompis pour lui dire que je pensais à cet égard comme lui. « Mais, reprit-il, si vous vous adressez à moi comme à un homme politique, c’est autre chose. Je ne suis nullement disposé à abandonner l’objet primitif de notre alliance, pour lequel la France, comme l’Angleterre, a fait de grands sacrifices. »

« — Eh bien, lui dis-je, si nous sommes décidés à maintenir l’empire ottoman, la Russie, elle, est décidée à le détruire. Seulement, comme elle a vu la faute qu’elle avait commise en laissant la France se mettre de notre côté, elle veut la prochaine fois vous avoir avec elle. Les deux adversaires en présence sont l’Angleterre et la Russie. La France est l’alliée que chacune d’entre elles désire. Or, j’ai le regret de le dire, depuis la conclusion de la paix, la Russie a fait un immense progrès en entraînant la France avec elle, et tout ce qui se passe à Constantinople est un triomphe complet pour l’influence russe. »

L’empereur reprit : « Je ne crois pas aux projets ambitieux que vous prêtez à la Russie. Bien que je ne prenne pas pour parole d’Évangile tout ce que m’a dit le grand-duc Constantin, j’ai confiance dans sa sincérité lorsqu’il m’affirme que la Russie ne veut pas prendre Constantinople.