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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/628

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adressait à la reine Victoria une lettre fort bien tournée, extrêmement gracieuse, non-seulement pour elle, mais pour le prince Albert : « Il est si doux pour nous, disait-il, de penser qu’en dehors des intérêts de la politique votre majesté et sa famille ressentent quelque affection pour nous, que je mets au premier rang de mes préoccupations le désir de mériter toujours cette auguste amitié. Je crois que, lorsqu’on a passé quelques jours dans votre intimité, on en revient meilleur. De même, lorsqu’on a su apprécier les connaissances variées et le jugement du prince, on revient d’auprès de lui plus instruit et plus apte à faire le bien. »

Que devenait, au milieu de toutes ces effusions réciproques, la question des Principautés, cause première de l’entrevue d’Osborne ? Elle n’était même pas tranchée. Le 9 août, il est vrai, MM. Walewski et de Persigny s’étaient abouchés avec lord Palmerston et lord Clarendon, et ils étaient arrivés à se mettre d’accord verbalement sur une sorte de compromis. L’Angleterre consentait à l’annulation des élections qui venaient d’avoir lieu en Moldavie sous l’influence du gouvernement ottoman, tandis que la France s’engageait à combiner ses efforts avec ceux de son alliée pour maintenir efficacement la suzeraineté de la Porte sur les Principautés. Le prince Albert, fort satisfait de l’arrangement, mais ne comptant qu’à moitié sur la fixité de direction de la politique française, avait suggéré aux deux ministres anglais l’idée de donner à ce compromis la forme d’un memorandum qui serait signé par les parties intéressées. Le document en question fut rédigé immédiatement ; mais, quand il s’agit de le signer, M. Walewski refusa, sous un prétexte spécieux. En réalité on était beaucoup moins d’accord qu’on ne voulait se le persuader, la France poursuivant toujours l’union des Principautés que l’Angleterre combattait comme dangereuse pour l’intégrité de l’empire ottoman.

Encore bien moins s’était-on mis d’accord sur la question beaucoup plus vague, beaucoup plus complexe, beaucoup plus dangereuse, du remaniement général de la carte d’Europe. Sur ce point il n’y avait pas un commencement d’entente, pas même une apparence de concert. Lord Palmerston, questionné par le prince Albert sur l’accueil qu’il avait fait à la pensée de donner à la Prusse le duché de Holstein, protesta énergiquement contre la supposition qu’il aurait prêté les mains à un pareil projet : « Je n’ai nullement approuvé, dit-il, l’idée d’un démembrement du Danemarck. Au contraire, je me suis attaché à montrer à l’empereur toutes les difficultés de cette entreprise. Je lui ai seulement dit que nous n’étions pas jaloux de la Prusse et que nous n’éprouverions pas d’inquiétude en la voyant se fortifier. » Sur ce point donc,