Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/630

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Cherbourg est une œuvre gigantesque, qui doit nous donner singulièrement à réfléchir. En face de semblables fortifications, nos travaux d’Alderney ne sont qu’un jeu d’enfant. » Le point de vue du prince Albert ne devait pas tarder à devenir celui de la reine elle-même. À peine rentrée en Angleterre, elle demande rapports sur rapports au sujet de l’état des fortifications de Portsmouth, du nombre de navires prêts à prendre la mer, du temps qu’il faudrait pour en armer d’autres, en cas de besoin. Le premier résultat de l’entrevue d’Osborne et du voyage à Cherbourg est donc un redoublement de précautions du côté de l’Angleterre. On a été charmé par l’empereur, séduit par l’impératrice, mais on s’arme jusqu’aux dents. La reine Victoria et le prince Albert, au milieu de toutes les effusions de l’amitié, n’oublient jamais la sécurité de l’Angleterre, les intérêts anglais, la puissance anglaise. Ne les blâmons pas, au contraire, citons-les comme exemple, et souhaitons de trouver toujours chez ceux qui nous gouvernent un patriotisme aussi jaloux et une attention aussi inquiète pour tout ce qui touche à la défense du pays.

La fin de l’année 1857 n’amena aucune altération nouvelle dans les rapports entre les deux gouvernemens. L’empereur se montra extrêmement cordial pour ses alliés d’outre-Manche à l’occasion de l’insurrection des cipayes, qui venait de prendre un développement formidable. Il ne paraît même pas avoir eu la pensée de profiter des embarras de l’Angleterre dans l’Inde pour obtenir d’elle des concessions sur d’autres points. Il se prêta de très bonne grâce à la combinaison qui permit aux troupes anglaises de prendre la route d’Égypte pour arriver plus vite sur le théâtre de l’insurrection. Il félicita chaleureusement la reine Victoria de la prise de Delhi. Malgré tous ces témoignages d’amitié, le gouvernement anglais attendait avec une certaine inquiétude le résultat de l’entrevue projetée entre Napoléon III et le tzar Alexandre. Les deux empereurs se virent en effet à Stuttgart en septembre. Il se fit là un rapprochement, non-seulement entre les souverains, mais entre les gouvernemens ; il y eut des idées échangées sur la situation générale de l’Europe, mais il ne se conclut point d’alliance. Le prince Gortchakof cependant, qui accompagnait le tzar, avait raison de dire : « Nous sommes très contents ; » car ce n’était pas chose indifférente pour les deux nations, et particulièrement pour la Russie, que cette rencontre amicale entre les deux souverains, presque au lendemain de la guerre de Crimée. »

Pendant que la France se rapprochait de la Russie, l’Angleterre resserrait ses liens d’amitié avec la Prusse par un mariage princier. Le 25 janvier 1858, la princesse Victoire, fille aînée de la reine,