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une courtoisie et une présence d’esprit qui furent extrêmement appréciées. Tous les dissentimens semblaient oubliés. L’impératrice était redevenue plus gracieuse que jamais ; la reine Victoria oubliait un instant la politique pour ne songer qu’au bon accueil qui lui était fait et au succès personnel que venait d’obtenir le prince Albert.

La soirée se termina par un splendide feu d’artifice, pour lequel on avait réuni toutes les merveilles de la pyrotechnie. Le bouquet seul, disait-on, avait coûté 25,000 francs. Le lendemain, 6 août, un an jour pour jour après l’entrevue d’Osborne, la reine et le prince Albert prenaient congé de leurs hôtes et faisaient route pour l’Angleterre. La séparation fut touchante. L’impératrice pressa chaleureusement les mains de la reine. Le yacht royal était déjà en marche que l’empereur, debout sur le gaillard d’arrière de la Bretagne, continuait à échanger des saluts avec la reine et le prince. Combien cependant les adieux auraient été plus émouvans encore, s’il avait été donné à chacun de lire dans l’avenir ! Le yacht royal n’emportait pas seulement deux aimables et augustes visiteurs, il emportait tout un passé, toute une politique. L’alliance anglo-française venait de jeter son dernier éclat en même temps que ces feux de Bengale, dont les reflets, la veille, avaient éclairé la rade de Cherbourg.


III

Les paroles adressées par Napoléon III à M. de Hübner à la réception officielle du 1er janvier 1859 furent une révélation pour le public, mais non pas pour les cours européennes, qui étaient au courant, depuis plusieurs mois déjà, de l’antagonisme sans cesse croissant entre la politique française et la politique autrichienne. L’Angleterre, particulièrement, n’ignorait plus rien, non-seulement de cet antagonisme, mais de ses causes. On sait à quel point lord Cowley possédait la confiance de l’empereur. L’ambassadeur de la reine Victoria à Paris avait eu, dans l’automne de 1858, avec Napoléon III, une conversation extrêmement importante dont il n’avait pas manqué de rendre compte à son gouvernement. Malgré l’entrevue de Cherbourg, malgré le toast porté par le souverain de la France à la reine et à la famille royale d’Angleterre, l’opinion et la presse, de l’autre côté de la Manche, continuaient à voir nos arméniens avec une extrême défiance. On se demandait si l’héritier de Napoléon Ier ne songeait pas à reprendre les projets que le chef de la dynastie impériale avait caressés à l’époque de la formation du camp de Boulogne, et si quelque jour on ne le verrait pas jeter