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vivons, réside surtout dans l’opinion publique, formée, éclairée par la libre discussion… Par conséquent, voici mon avis : Appelez en ligne ce pouvoir nouveau ; c’est lui qui tiendra en échec la France et la Russie, qui unira l’Allemagne et qui mettra finalement entre vos mains la décision de toute l’affaire. Libre discussion dans la presse sur les projets de Napoléon, accord de sentimens, par suite de cette liberté de discussion, avec la Suisse, la Belgique et l’Angleterre, résistance courtoise opposée à toute tentative venant de Paris, pour rendre votre gouvernement responsable du langage de la presse : voilà quels seraient les principaux points de mon programme.

C’est l’opinion publique de l’Angleterre que craint Napoléon ; c’est le mouvement national de l’Allemagne en 1814 qui est le cauchemar de la France. C’est le cri populaire de 1840 : Ils ne l’auront pas, notre Rhin allemand, qui a arrêté la France dans sa politique orientale. A votre place donc je tâcherais de rallier à moi cette redoutable puissance de l’opinion ; en même temps je continuerais à user d’une extrême modération, à négocier très peu, à entrer encore moins dans des explications ; mais par-dessus tout je m’attacherais énergiquement au maintien des traités existans et je presserais l’organisation des forces de la Confédération. Dans le cas où les hostilités éclateraient, je mettrais mon armée sur le pied de guerre, et j’occuperais les forteresses, en donnant les mêmes assurances amicales à tous les gouvernemens. L’Autriche fût-elle attaquée en Italie par la France, que la prudence conseillerait, suivant moi, de ne pas porter la guerre sur le Rhin, sauf le cas d’absolue nécessité.

La Prusse n’a jamais eu de possessions italiennes, et elle n’a pas suivi, pendant ces cinquante dernières années, la politique perverse qui a jeté ce pays dans le misérable état où il est aujourd’hui. En se mettant sur le pied ’de guerre, la Prusse tient la France en échec, et se montre prête à entrer en ligne, si la nécessité l’y oblige. Si l’Autriche subit un échec, sa position militaire est si forte, qu’il ne peut en résulter une déroute générale ; par conséquent, la Prusse et l’Allemagne, — en admettant qu’elles aient des motifs politiques de se mêler à la lutte, — ont tout le temps d’entrer en ligne avant que la France ait écrasé l’Autriche, de manière à pouvoir jeter toutes ses forces sur l’Allemagne.


L’homme qui écrit en ces termes au prince régent de Prusse a évidemment abandonné sans retour l’idée de l’alliance française. Il n’est pas encore notre ennemi : il n’est déjà plus notre ami. Le prince Albert n’avait jamais cru beaucoup à l’empereur : maintenant il n’y croyait plus du tout. La reine n’avait peut-être pas pris si délibérément son parti. En dépit de la politique, il lui en coûtait