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et la nouvelle foi purent se mesurer comme en champ clos. Ces débats ne firent que mieux apercevoir le néant des espérances pacifiques. Ce n’était pas seulement sur des matières de discipline ecclésiastique, sur la tenue des conciles, sur les rapports entre l’église et l’état, que l’on ne pouvait s’entendre. La réforme avait pris rapidement le caractère de l’hérésie ; Calvin lui avait donné sa véritable figure. Quel pape, quel concile catholique pouvait se réconcilier avec les doctrines de l’Institution chrétienne ? François Ier, à qui Calvin osa dédier son livre, ne put longtemps regarder les adversaires de la réforme comme des scolasticiens arriérés ; il avait d’abord encouragé les novateurs, il finit par les laisser condamner par les parlemens. « Quand les hommes, écrit Bossuet dans son Histoire de France pour le dauphin (règne de Henri II), ont commencé à se laisser gagner par l’appât de la nouveauté, les supplices les excitent plutôt qu’ils ne les arrêtent. » Le Nouveau-Testament en français, de Lefèvre d’Étaples, imprimé à Paris, porte la date de 1523 ; l’Institution chrétienne parut en 1559. Après tant de supplices que Crespin a racontés dans ses Martyrs, Théodore de Bèze évalue à quatre cent mille le nombre des protestans français ; et ces quatre cent mille hérétiques étaient organisés en églises, ils formaient des groupes, des congrégations qui choisissaient elles-mêmes leurs ministres, élisaient leurs anciens, leurs diacres ; ils avaient des consistoires, des synodes. Calvin avait tracé les règles de cette association, qui ressemblait si peu à celle de l’église romaine. Chaque église était comme un foyer de vie indépendante. Il y avait toujours une autorité doctrinale, mais cette autorité n’était plus qu’une autorité idéale. C’était celle des livres saints et de la confession de foi, commune à toutes les églises. Les âmes s’enfermaient dans cette confession de foi comme dans une citadelle, bravant les conciles, bravant les papes, défiant toutes les puissances terrestres. Le nombre des églises était indéfini ; partout où quelques chrétiens pouvaient s’assembler en commun, pour lire les Écritures saintes, une nouvelle Rome était opposée à Rome, une Rome mystique, défiant dans sa nudité et insultant dans sa solitude la ville aux sept collines, la Babylone nouvelle, condamnée comme une sentine d’abominations. Cette savante organisation, si simple, si souple, était capable d’une expansion indéfinie ; elle permettait à la foi nouvelle les retraites les plus promptes, les marches en avant les plus rapides ; elle contenait un principe de vie, de propagande active, qui expliquent les conquêtes rapides faites sous le règne de Henri II, en dépit de toutes les persécutions. « Quand je considère, dit M. de Meaux, ce qu’ont fait en France les protestans, j’admire d’abord leur petit nombre. » Mais ailleurs il dit avec beaucoup de raison : « Le nombre seul n’a jamais fait triompher aucune cause.