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et le Saint-Esprit sont d’accord pour reconnaître qu’il est fâcheux de semer le vent parce qu’on récolte la tempête.

Le chancelier de l’empire germanique s’est déclaré prêt à négocier avec le Vatican ; mais bien habile qui oserait prédire ce qui sortira de cette négociation, et bien crédule qui s’imaginerait que M. de Bismarck se résoudra jamais à amener son pavillon en révoquant in globo les lois de mai. En Italie, on s’est flatté longtemps de parer à toutes les difficultés en appliquant la mystérieuse formule du comte de Cavour : Libera chiesa in libero stato. Il s’est trouvé qu’en définitive chacun interprétait cette formule à sa façon ; il y a même beaucoup d’Italiens qui la tiennent pour un pur logogriphe et qui prétendent que M. de Cavour ne savait pas lui-même très nettement ce qu’il avait voulu dire[1]. La France est entrée en campagne par ce fameux article 7, qui paraît causer encore plus de tracas à ceux qui l’ont inventé que d’inquiétudes à ceux qui ne veulent pas en entendre parler. Dans un pays voisin, le clergé, par les fureurs qu’il fait éclater à propos d’une loi fort sage et fort raisonnable, semble avoir pris à cœur de prouver que les mesures équitables l’irritent autant que les dénis de justice et qu’il court au martyre quand il s’agit seulement de le réduire au droit commun. En Suisse, on est animé de part et d’autre d’un sincère désir de mettre un terme à des disputes religieuses qui n’ont encore fait le bonheur de personne ; mais on cherche péniblement les clauses d’une transaction dont tout le monde puisse s’accommoder, et on découvre que les meilleures dispositions sont tenues en échec lorsqu’on a laissé à la passion le temps de gâter les affaires ; c’est une besogne dont elle s’acquitte à merveille.

Les esprits conséquens et logiques en concluent que le seul moyen d’assoupir ou de vider cet importun différend, qui trouble partout la paix publique, est de séparer absolument l’état et l’église, en supprimant le budget des cultes. L’exemple de la grande république américaine, où l’église et l’état ne se disputent jamais, donne à penser à l’Europe ; peut-être un jour ou l’autre sera-t-elle disposée à le suivre, mais ce ne sera ni demain, ni même après-de main. Un incident qui vient de se passer dans une petite république témoigne assez que ce pas est plus difficile à franchir qu’on ne pense, et que la rigoureuse logique ne gouverne pas les affaires de ce monde. Nulle part les rapports de l’église et de l’état ne sont plus embrouillés, plus épineux qu’à Genève ; nulle part la question religieuse ne cause plus de tracas, de dégoûts et de lassitude. Aussi les Genevois paraissaient-ils résolus d’en finir en appliquant le grand remède, et personne ne se fût plaint si cette expérience s’était faite d’abord, non certes in anima vili, mais in corpore minusculo ;

  1. Cristianesimo, Cattolicismo e Civiltà, studii di Raffaele Mariano ; Bologne, 1879, pp. 360 et suiv.