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avez un doute sur notre sincérité, s’écrie l’homme accoutumé aux harangues un peu emphatiques, aussitôt sera donné l’ordre de retourner à Sidney. » À ces paroles, le pauvre sauvage touché, vaincu, désarmé, renouvela l’assurance de sa fidélité.

La scène pénible oubliée, tandis que le navire glisse sur une mer calme, les Néo-Zélandais manifestent des sentimens personnels ou racontent des histoires de la patrie. Korokoro, très frappé des honneurs qu’on rend au gouverneur de la Nouvelle-Galles, rêve de semblables honneurs pour lui-même. Il veut, comme le chef de la colonie anglaise, être appelé le gouverneur Macquarie, et compte exiger du monde de sa tribu les mêmes marques de respect. Tuatara parle de l’attrait du firmament, dont il est habituel de se préoccuper à la Nouvelle-Zélande. Pendant les belles nuits, on contemple les astres ; des noms particuliers désignent ou des étoiles ou des constellations. A chacune, le prêtre attache un sens mystique qui est reçu dans le pays tout entier. Ainsi que les premiers navigateurs de la Mer du Sud, les missionnaires évangéliques se montrent un peu choqués des façons trop familières, de la bruyante hilarité, des plaisanteries grossières des Néo-Zélandais, ne demeurant silencieux que dans les momens où ils nourrissent de sombres projets.

Le navire qui porte le révérend Samuel Marsden passant près des îles des Trois-Rois, on est sous de charme de sites pittoresques, sauvages et poétiques. Le narrateur du voyage déclare ces terres inhabitées, pourtant on se souvient que Tasman vit des hommes sur la plus grande île où maintenant porcs et chèvres, fort multipliés, errent dans une parfaite indépendance. Voici les côtes de la Nouvelle-Zélande : le cap Maria van Diemen, puis le cap Nord. Marsden, impatient de communiquer avec les indigènes, engage Tuatara et ses compagnons à descendre à terre, afin d’inviter des habitans à venir à bord. Les chefs, épée au côté, pistolets à la ceinture, mousquet à l’épaule, ainsi fort en état de repousser une agression, ont vraiment haute mine. A peine sont-ils partis qu’une pirogue accoste le navire. Avec une merveilleuse agilité, plusieurs des Néo-Zélandais qui la montent s’élancent sur le pont ; c’est le chef de la côte voisine suivi de cinq hommes de sa tribu. Il en a laissé huit dans l’embarcation ; sans retard il les envoie chercher des vivres, dont on lui a signalé la pénurie sur le vaisseau. Cette marque de confiance étonne. Marsden s’efforce d’expliquer au chef la nature de l’établissement qu’il se propose de fonder à la baie des lies, affirmant son désir de gagner l’amitié des habitans du cap Nord. L’insulaire témoigne qu’il serait heureux d’ajouter foi aux déclarations des étrangers, mais peut-il oublier la conduite récente du capitaine d’un baleinier qui, ayant reçu plusieurs porcs et quantité de pommes de terre en échange d’un misérable fusil, retint à son bord