Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 36.djvu/795

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

os humain. Les missionnaires se plaisaient à conserver quelque doute à l’égard des habitudes d’anthropophagie chez les Néo-Zélandais, le doute dut s’effacer. Liddiard Nicholas, ayant pu apprécier les ressources alimentaires du pays, se persuada que la disette n’était nullement la cause de l’anthropophagie ; il l’attribue, et au sentiment de la vengeance qui ne s’éteint point avec la mort de l’ennemi, et à la pensée d’une destruction totale. Parfois les pirogues affluèrent près du vaisseau ; en aucune circonstance, on n’eut à concevoir de crainte de la multitude des indigènes ; pourtant on en éprouva souvent beaucoup d’ennuis. Les Néo-Zélandais ne gardent ni discrétion, ni réserve ; ils ont des habitudes répugnantes. Ils accaparaient les parties du navire les plus privées, refusant ensuite d’en déloger. Un jour, on s’étonna de voir au milieu des insulaires un homme qui formait avec les autres un singulier contraste par sa taille exiguë et ses formes grêles ; c’était un matelot hindou échappé au massacre de l’équipage d’un navire. Il vivait maintenant heureux à la baie des Iles, et s’étant marié, il ne gardait nul désir de retourner dans sa patrie. Tout à coup on parla d’une rencontre imminente sur le territoire de Waïcadi, entre les gens de deux partis hostiles. Liddiard Nicholas, voulant assister à l’action, se rendit sur le théâtre en compagnie d’un groupe de Néo-Zélandais. Les pirogues manœuvrées avec une incomparable énergie, trois heures suffirent pour dévorer l’espace. Dans le village règne un effroyable tumulte. Cependant des hommes se rassemblent et paraissent chercher la conciliation ; au bruit succède le silence profond et solennel. Un chef expose les griefs de son peuple ; les réponses et les répliques sont écoutées avec calme. Comme le prévoyait, au ton doux des orateurs, l’Européen, qui ne comprenait pas les discours, tout s’arrangea sans recourir aux armes. La réconciliation fut cimentée par un banquet. Le conflit était né d’une cause assez fréquente chez les peuples de tous les pays du monde. Un chef, vraiment beau, plein de bonne grâce, affectant de la coquetterie dans son ajustement et dans sa coiffure, avait eu des succès un peu nombreux dans la tribu voisine ; néanmoins on ne parlait pas d’enlèvement. Il était donc facile d’atténuer les faits ou de déclarer les informations inexactes.

A peine installés à Rangihou, les missionnaires avaient semé du grain, planté des légumes ; un mois plus tard, les champs tout verdoyans promettaient bonne récolte. La petite colonie s’était augmentée, Mme King, la femme de l’un des pasteurs, étant accouchée d’un garçon, — le premier enfant européen né sur le sol de la Nouvelle-Zélande. L’opération ne s’était point effectuée sans bruit ; Mme King avait beaucoup crié ; les indigènes, hommes et femmes attachés à la mission, s’en étaient fort amusés ; aussi