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à raconter. La situation de ceux qui restent est plus sombre ; quelques hommes, chacun ayant sa femme ; demeurent à peu près sans défense au milieu de gens qu’on appelle toujours les sauvages. Va s’éloigner le navire où l’on voyait dès l’apparition d’un danger le lambeau de la patrie offrant un refuge assuré. Ces braves missionnaires vont perdre Tuatara, le chef qui devait les protéger. Attristés ; ils ne s’abandonnent pas trop à l’inquiétude ; ils croient naïvement n’avoir que des amis chez les insulaires. Ayant recueilli des assurances de sympathie de la part des principaux habitans, ils sont persuadés que la sympathie est générale. Encore peu familiarisés avec l’idiome du pays, ils n’ont pas entendu les paroles qui trahissaient des sentimens hostiles parmi la population.

Le chapelain de la Nouvelle-Galles du Sud emmenait à Port-Jackson une dizaine de Néo-Zélandais. En montant à bord, ce petit monde était accompagné d’une multitude de parens et d’amis ; il y eut, comme si l’on n’espérait jamais se revoir, des adieux signalés par des flots de larmes et d’infinies lamentations. Pour assister à l’appareillage de l’Active, on était venu de très loin ; il y avait une foule énorme pleine de curiosité sur le rivage et dans les pirogues. Les membres de la mission, MM. Kendall, King et Hall, sont sur le pont, ne voulant quitter M. Marsden qu’à la dernière minute. Enfin l’ancre est levée, les voiles s’enflent, on approche de la pointe qui limite la baie, il faut se séparer ; les mains s’agitent encore, et la distance ne permet plus de les voir ; les adieux se répètent lorsqu’on ne peut plus les entendre. Dans la matinée du 27 février, l’Active touche au cap Nord ; il s’agit de prendre une cargaison de lin qui dès longtemps a été promise. Marsden et son compagnon Liddiard Nicholas mettent pied à terre en un endroit rocailleux, après avoir eu mille craintes de chavirer par suite d’un épouvantable ressac sur cette côte abrupte. Ils atteignent un point élevé ; alors l’un et l’autre laissent échapper une exclamation admirative, la scène qui s’offre aux regards apparaît comme une des plus riantes de la nature. Au bas, c’est, entourée de collines, la plaine qu’on prendrait pour l’arène d’un immense amphithéâtre ; vers le nord, une perspective lointaine que l’œil suit par une échancrure dans l’enceinte ; sous les pieds mêmes des spectateurs ; un petit village que borde un clair torrent aux capricieuses ondulations bientôt perdu dans la mer ; puis disséminées dans la campagne, des huttes que l’on cherche au milieu de la végétation, la pensée séduite par l’intérêt de la vie humaine. Sur certains espaces, on remarque des cultures de patates ou d’ignames fort bien entretenues, et l’on se plaît à concevoir une ; opinion favorable de l’industrie des habitans ; près du village, on aperçoit une tête d’homme posée sur un pieu : alors se réveille dans l’âme le souvenir des instincts cruels des anthropophages. Le