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avons le seigle, le retrait, la paille, et buvons de l’eau. Ils ont le séjour et les beaux manoirs ; et nous avons la peine et le travail, la pluie et le vent aux champs ; et faut que de nous vienne, et de notre labour, ce dont ils tiennent leurs estats. » Partout alors, à Paris, en Angleterre, en Flandre, couvaient dans le cœur du peuple des sentimens de haine et des désirs de vengeance qui armaient les petits contre les grands ; et ce qui prouve bien la redoutable énergie de ces revendications populaires, c’est la gravité des concessions qu’elles arrachent aux gouvernemens. Pendant que l’émeute parisienne, poussée par le corroyeur tribun, bat le seuil de la demeure royale et menace d’en forcer l’entrée, une fenêtre s’ouvre : le chancelier de France, Miles de Dormans, évêque de Beauvais, parlemente avec les assaillans. Dans son discours d’apaisement, il va jusqu’à reconnaître le principe de la souveraineté nationale : « Oui, les rois auraient beau le nier cent fois, le suffrage populaire est le fondement de la monarchie, reges regnant suffragio populorum… Ni le roi, ni ses conseillers ne pourraient faire un peuple, mais un peuple ferait bien un roi. » Ainsi parle le pouvoir, en tout temps et en tout pays, quand il se sent vaincu, et qu’il a peur. L’année suivante, la chevalerie française, conduite par les compagnons d’armes de Du Guesclin, écrasait à Rosebecque, sous les yeux du jeune roi, la ligue des communes et, par contre-coup, l’émeute parisienne ; mais, après un intervalle de repos, la démence de Charles VI, les scandales du règne, les rivalités sanglantes des princes, la défaite d’Azincourt précipitèrent encore une fois la France dans une crise de guerre civile et d’invasion étrangère, où elle faillit succomber.

On taxerait volontiers d’exagération ou de mensonge le narrateur moderne qui, pour peindre cette navrante période de notre histoire, emprunterait fidèlement aux chroniqueurs contemporains les pages naïves qu’ils ont écrites sous l’impression des événemens, en face du spectacle qui se renouvelait chaque jour. On l’accuserait de faire le roman du passé avec des couleurs beaucoup plus récentes et de transporter au XVe siècle, par un travestissement rétrospectif, les procédés et l’appareil des époques de terreur. La vérité est que dans leurs récits, d’une irrécusable sincérité, les péripéties bien connues et la mise en scène ordinaire de toutes les perturbations politiques se trouvent au complet. Voici les clubs, aux motions incendiaires, notés par le religieux de Saint-Denis, témoin très clairvoyant, historien presque officiel du règne de Charles VI ; voici les sociétés secrètes, les conciliabules nocturnes où le « menu peuple » des métiers et des faubourgs, « la multitude mécanique, » s’assemble « par flottes d’hommes noirs et petits, » comme dit Froissart, et pérore « en gesticulant avec fureur, en roulant des yeux menaçans. » Voici la garde nationale, commandée par ses « dizeniers,