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civilisation européenne « l’Égypte des Orientaux » était en train de mourir lentement, et que, « parmi les singularités de la vie orientale, nombre des plus charmantes auront disparu avant que cinq ans se soient écoulés, toutes peut-être, quand arrivera le nouveau siècle. » Ce sont précisément ces singularités expressives, ces traits caractéristiques, avant qu’ils s’effacent pour jamais, que M. Ebers a voulu fixer, en homme « qui aime l’Égypte et qui la connaît. » C’est M. Ebers qui se fait ce compliment à lui-même. Puisqu’il entend si bien l’art de se faire valoir, c’est encore à lui-même que nous demanderons ce qu’il faut penser de l’illustration de son texte, et il nous répondra « que les images dont ces feuilles sont le texte explicatif ont quelque chose d’incomparable dans leur genre. » Le bon de la chose, c’est qu’il faut convenir qu’il a raison ! c’est que le texte est véritablement des plus instructifs et l’illustration des mieux appropriées, des plus fidèles et des plus vivantes. À la suite d’un guide aussi bien informé, d’un observateur si curieux de toutes les choses du présent, d’un savant si bien instruit de toutes les choses du passé, c’est triple plaisir que de faire ce voyage d’Égypte et que de passer une revue pittoresque de l’histoire de cette terre dont « l’attrait merveilleux » restera toujours si puissant sur les imaginations. C’est la maison Didot qui a édité ce beau livre.

Comment passerai-je de la terre des Pharaons au XVIIIe siècle et à François Boucher ? En m’abstenant avec soin de chercher une transition. Le livre[1] que M. Paul Mantz publie chez l’éditeur Quantin fait aussi lui partie d’une collection commencée l’année dernière par la publication de l’œuvre d’Holbein. Même format, même papier, même caractère, même luxe aussi d’illustration, et même intérêt du texte. Peut-être aurait-on mieux aimé pour continuer une série qu’Holbein avait inaugurée, tout autre maître que François Boucher, cet homme unique, à ce que prétendait Diderot, « pour peindre des femmes dont les fesses étaient aussi fardées que leurs joues. » Mais M. Quantin nous promet que ces autres maîtres suivront, et M. Paul Mantz plaide si bien les circonstances atténuantes, que nous aurions vraiment mauvaise grâce à insister. Après tout, si l’on ménage les épithètes et que l’on prenne grand soin de ne pas enfler la voix, cet art du XVIIIe siècle, l’art même de Boucher, n’est pas si méprisable. M. P. Mantz le dit très bien, sans nulle exagération ni dans la pensée ni dans les termes : « On sait mal le XVIIIe siècle quand on ne connaît pas l’œuvre de Boucher et de ses amis. » C’est que, comme il le dit encore, cet œuvre, dans son ensemble et dans sa suite chronologique, traduit admirablement cette préoccupation de l’élégance qui fut l’une des grandes préoccupations de l’art français et, pourrait-on ajouter, d’une certaine littérature, au XVIIIe siècle. Que cette élégance, d’ailleurs, soit toute voisine du maniérisme et de l’afféterie, M. Mantz ne le dissimule pas, trop fidèle qu’il est au culte des vrais dieux pour

  1. François Boucher, Lemoyne et Natoire, par M. Pan ! Mantz, 1 vol. in-folio.