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en Europe, ses intérêts commerciaux, même pour être garantie éventuellement contre la Russie en Orient. On se plaisait tout récemment encore en Angleterre à représenter ce rapprochement austro-allemand, transformé pour la circonstance en événement mémorable, comme un échec, presque comme une menace pour la France laissée en dehors des conseils européens. Qu’a donc affaire la France d’aller se mêler à tous ces mouvemens ? Il n’y aurait eu un échec pour elle que si elle avait recherché un rôle dans de telles combinaisons, soit pour s’y associer, soit pour les déjouer. Elle n’a rien recherché, que nous sachions, elle n’a rien demandé, elle n’a pu que recevoir, avec un esprit parfaitement libre, dégagé de toute susceptibilité d’amour-propre, les explications qui ont pu lui être offertes ; elle n’a qu’à rester spectatrice d’un travail qui n’est pas plus dangereux pour elle que tout ce qui s’est fait depuis quelques années, qui n’est qu’un signe de plus de la crise prolongée des relations générales. C’est par sa sagesse et sa vigilance, par le soin qu’elle mettra à rendre inutiles toutes les mauvaises pensées, par le zèle qu’elle saura déployer pour la restauration de ses forces, pour sa pacification intérieure, c’est par tout cela que la France se fera compter et reprendra sa place naturelle dans les conseils de l’Europe. Quant à la Russie, qui a été laissée, elle aussi, en dehors des négociations où a été élaborée l’alliance austro-allemande, elle suffit assurément à ses propres affaires. Si un traité a été signé, comme on le dit, cela n’a pas empêché récemment les grands-ducs de rendre visite à l’empereur d’Allemagne, d’aller à Vienne, et cela n’a pas empêché ces jours derniers l’empereur Alexandre d’appeler l’empereur Guillaume son « éternel ami. » Tout ce qu’on en peut raisonnablement conclure, c’est que si le voyage de M. de Bismarck à Vienne n’a point été sans importance, il ne peut être considéré comme le préliminaire d’événemens prochains, et avant que l’alliance austro-allemande devienne une réalité sérieuse contre ceux qu’elle est censée atteindre, bien d’autres événemens auront eu le temps de s’accomplir.

La Russie, au surplus, a chez elle des affaires assez sérieuses et des préoccupations assez vives pour oublier un instant les complications extérieures qui n’ont pas un intérêt immédiat. Il y a quelques jours à peine une cour de justice avait à juger une des conspirations qui ont fait le plus de bruit il y a quelque temps, une audacieuse tentative de meurtre dirigée contre le général Drenteln. Elle voyait notamment comparaître devant elle un de ces jeunes révolutionnaires, Mirsky, dont l’attitude, le langage, l’esprit exalté et sincère impressionnaient vivement tous ceux qui l’entendaient, qui ne pouvaient se défendre d’un intérêt réel pour cette jeune victime des conjurations secrètes. Mirsky avait été condamné à mort ; mais sa peine avait été aussitôt commuée, la vie était au moins épargnée. On croyait presque à un apaisement de la situation qui semblait se manifester par le ralentissement des complots, par