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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/189

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Autant que de premiers ministres. Nous aurions eu la morale d’état de M. Thiers„ puis celle de M. le duc de Broglie, puis celle de M. Dufaure, puis celle de M. Waddington en attendant mieux. M. Jules Ferry ne craint pas ce danger, et dans une métaphore pleine de hardiesse, il s’est demandé s’il n’y avait pas « un certain nombre d’idées arrosées du sang le plus pur et le plus généreux » dont il importât de conserver l’héritage. Nous n’y contredisons pas. Nous trouvons même tout simple et tout légitime qu’un gouvernement tienne la main à ce qu’on n’enseigne dans ses établissemens rien de contraire à ses doctrines et à son principe. Seulement, nous croyons que l’état n’a pas le droit d’exiger des établissemens privés une orthodoxie rigoureuse. En matière historique surtout, il doit être singulièrement prudent et circonspect. Quoi de plus changeant en effet que l’histoire, et quoi de plus contingent que la vérité historique ? Qui peut se flatter de la posséder tout entière et de n’y point apporter ses préjugés ou ses passions ? Il y a vingt ans, on enseignait couramment dans nos collèges une histoire romaine de convention que la critique a depuis complètement renouvelée. De même pour la révolution française, que de préjugés, d’erreurs, les travaux publiés depuis quelques années n’ont-ils pas détruits ? Que reste-t-il par exemple de la légende des volontaires de 1792 après le livre de M. Camille Rousset ? Et de celle des vainqueurs de la Bastille après le livre de M. Taine ? Sans doute, il faut un contrôle, sans doute le gouvernement a le droit et le devoir d’exercer sur les établissemens privés une surveillance active, et de réprimer les abus quand il en trouve. Si la loi de 1850 est insuffisante, qu’il y propose des amendemens ; s’il n’est pas assez armé, qu’il le dise, on ne lui refusera pas les moyens de se faire respecter. Mais qu’il ne sorte pas de son rôle et qu’il n’outrepasse pas son droit, qu’il n’ait pas la prétention de niveler l’enseignement. Nous n’avons plus de religion d’état, n’allons pas, de grâce, y substituer je ne sais quel dogmatisme officiel obligatoire dans toutes les écoles de la république. La liberté d’enseignement comporte une certaine variété de méthodes et de doctrines, et s’il est bon qu’il y ait des établissemens destinés aux fils de ceux qui ont arrosé de leur sang les idées chères à M. Jules Ferry, il est juste après tout qu’il en existe d’autres où des traditions et des souvenirs un peu. différens soient encore en honneur. Il n’y a pas là, quoi qu’on en ait dit, un péril sérieux pour notre unité nationale, et je ne sache pas que les jeunes gens qui ont appris l’histoire dans les livres du révérend père Gazeau[1]

  1. M. le ministre a commis au sujet de ce livre une erreur assez singulière. Il a déclaré (Officiel 6375, 1re col. ) avoir reçu un rapport des inspecteurs où l’ouvrage du R. P. Gazeau figure au nombre des livres en usage dans l’établissement des jésuites de Rennes. Or il n’existe point de collège de jésuites à Rennes.