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que l’hystérie grave fait dans l’intelligence, nulle description n’aura autant de valeur que la simple relation de la vie d’une hystérique connue depuis longtemps à la Salpêtrière sous le nom de G…, et qui est célèbre par la bizarrerie de son caractère, comme par la violence de ses attaques convulsives. G… est née à Loudun, le 2 janvier 1843 ; elle fut abandonnée par sa mère et déposée à l’hospice de cette ville ; après avoir passé ses premières années à l’hospice de Poitiers, elle est envoyée à la campagne. A l’âge de quatorze ans, elle est courtisée par un jeune homme du nom de Camille. Mais au bout d’un an, son « promis » meurt d’une fièvre cérébrale. Craignant que G… ne fasse quelque scandale, on l’enferme pendant l’enterrement. Elle s’échappe par une fenêtre, court au cimetière et veut se jeter dans la fosse. On l’enferme de nouveau ; mais pendant la nuit elle se rend au cimetière, appelant son amoureux et voulant le déterrer. On accourt, on s’empare d’elle, mais elle est prise d’une crise nerveuse pendant laquelle elle est « comme une morte. » Elle demeure environ vingt-quatre heures dans un état de léthargie complète. On la ramène à l’hospice ; elle y reste deux ans, paraît à peu près guérie, et à dix-sept ans se place comme femme de chambre à Poitiers. Au bout de quelques semaines, elle est reprise d’attaques de nerfs ; elle a l’idée de se faire passer pour enceinte ; on croit qu’elle dit vrai, et on la mène à l’hôpital pour qu’elle accouche. Bientôt on s’aperçoit de l’erreur, mais comme ses attaques sont devenues plus graves, comme son caractère est indomptable et rebelle à toute discipline, on la transfère dans un asile d’aliénés. Soumise à un traitement par la belladone, elle a l’idée de garder pendant dix jours les pilules qu’on lui donne quotidiennement, et de les avaler ensuite toutes les dix. Cet empoisonnement est sur le point d’avoir des suites funestes ; elle en réchappe cependant, mais quelques jours après elle se mutile la poitrine avec des ciseaux, sans pouvoir donner la raison de cette sottise. Bientôt elle s’enfuit de l’hospice et arrive à Paris. Ses attaques nécessitent de nouveau l’entrée à l’hôpital. Elle est transférée à l’asile d’aliénés de Toulouse. Elle parvient à s’en échapper et à rentrer dans Paris. Si l’on en croit son récit, elle serait revenue à pied de Toulouse à Paris, vêtue de l’uniforme de l’asile, en sabots, couchant dans les bois, se déshabillant pour laver sa seule chemise, se nourrissant de pain qu’elle demandait dans les fermes. Elle se décide à mendier, quoiqu’elle soit fort orgueilleuse. Mais, la faim aidant, elle capitule avec son orgueil, se disant que Notre-Seigneur a bien demandé l’aumône et qu’elle peut faire comme lui. Son voyage de Toulouse à Paris dure trois mois. Bientôt la fantaisie lui vient de prendre le chemin de fer du Nord ; elle descend