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pour effet de fermer aux produits de l’Europe le marché américain et de porter un coup funeste à de nombreuses industries qui y trouvaient leur principal débouché. Il ne paraît pas cependant que les États-Unis aient lieu de se féliciter de leur politique commerciale, car en voulant à tout prix devenir une puissance industrielle, ils ont introduit chez eux la question ouvrière, qui jusqu’alors n’avait pas été soulevée et qui, avec un gouvernement ultra-démocratique, peut devenir pour la constitution un immense danger. — Quoiqu’il en soit, ce n’est pas en élevant nos tarifs que nous ferons baisser les tarifs américains et que nous retrouverons nos anciens marchés.

La France du reste a été la dernière et la plus légèrement atteinte par la crise, et tandis que tous les autres pays, y compris l’Angleterre, en subissaient les effets par des grèves et des faillites, elle est restée jusqu’au dernier moment dans une situation relativement prospère. C’est quelque temps après l’avènement du ministère du 16 mai que les premiers symptômes de malaise se sont manifestés chez nous ; aussi les ennemis de ce gouvernement, avec la bonne foi qui caractérise d’habitude les partis politiques, se sont-ils emparés de cette circonstance pour s’en faire une arme contre lui aux yeux de l’opinion et ont-ils obtenu du sénat d’ordonner une enquête sur les causes de la stagnation des affaires. Mais les gros industriels qui siègent dans la haute assemblée, avec la férocité des intérêts qui ne recule devant aucun moyen et avec une habileté à laquelle il faut rendre hommage, ont transformé cette enquête, qui devait avoir un caractère exclusivement politique, en une question économique, et ont saisi avec empressement cette occasion de relever le drapeau du protectionnisme auquel dans l’origine personne ne songeait. Pour entreprendre cette campagne avec quelque chance de succès, ils ont senti la nécessité d’attirer à eux les agriculteurs, qui jusqu’alors avaient en général manifesté des tendances libérales et qui, sous le coup de plusieurs mauvaises années, se trouvaient eux-mêmes en ce moment dans une situation difficile. Les intérêts sont prompts à s’alarmer, et il avait suffi qu’on nous expédiât du dehors le blé nécessaire à combler le déficit de nos récoltes pour qu’un grand nombre de cultivateurs s’imaginassent, que tout était perdu. Ces craintes furent habilement exploitées par les coryphées du parti protectionniste qui provoquèrent des manifestations de toute nature. Attribuant tout le mal aux traités de commerce, se prétendant écrasés d’impôts, nous menaçant aujourd’hui d’une inondation de blés d’Amérique comme, en 1860, ils nous avaient menacés de celle des blés de Russie, ils réussirent à faire voter par la Société des agriculteurs de France et par un grand nombre de comices agricoles des vœux demandant le retour à un