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ministre de l’intérieur dans le cabinet de M. Laffitte, — novembre 1830, — et c’est comme ministre de l’intérieur, s’inspirant de la pensée du prince, qu’il prenait courageusement l’initiative et la responsabilité des mesures nécessaires pour empêcher le procès des conseillers de Charles X de finir dans le sang ; il était lui-même à cheval prêt à défendre les prisonniers contre les fureurs populaires. Il était le ministre de la révolution apaisée et régularisée sous Casimir Perier, avec M. Thiers en 1836, avec M. Mole en 1837, dans ces huit premières années si agitées et si laborieuses du régime de juillet. A partir des désastreuses confusions de cette crise parlementaire de 1839, d’où tout le monde sortait vaincu, M. de Montalivet s’était réfugié dans une sorte de ministère intime que l’affectueuse confiance du roi lui avait ménagé sous le nom d’intendance de la liste civile et où il restait un ami, un confident d’élite encore plus qu’un serviteur. Auprès du roi comme dans les ministères successifs, il montrait tout ce qui faisait de lui le plus précieux des conseillers, une parfaite justesse, la mesure et le tact dans le maniement des hommes, la fermeté dans la modération, le courage dans les momens difficiles, l’indépendance dans la fidélité et le dévoûment. Témoin désintéressé et observateur clairvoyant de la politique, il n’avait pas attendu l’orage de 1848 pour pressentir, pour signaler le danger, et quand on l’interrogeait sous le dernier ministère de la monarchie, il ne craignait pas de dire librement son opinion, au risque de contrarier le roi Louis-Philippe ; avant la catastrophe, quand il en était temps encore, il avait averti. Le jour où la catastrophe éclatait, il n’était pas de ceux qui cherchent dans un conseil méconnu un prétexte d’oubli et de désertion : il restait fidèle à l’exil Il acceptait sans impatience une retraite d’où il ne sortait ni sous la république de 1848 ni sous le second empire. Au plus beau temps du règne de 1830, ministre du roi, il gardait dans son cabinet un portrait de Napoléon donné par l’empereur lui-même à son père ; sous le second empire-il montrait un portrait du roi Louis-Philippe. Il y avait seulement une différence : s’il pouvait garder l’image de Napoléon Ier en s’associant à la fondation d’une monarchie constitutionnelle, il ne consentait plus à rétrograder, à revenir de la monarchie constitutionnelle à la dictature impériale qui venait de renaître.

C’est la dignité de cette retraite de plus de trente ans où a vécu M. le comte de Montalivet, souvent assailli de souffrances et conservant toujours la liberté de son esprit, le goût de la politique, de la littérature, des beaux livres et des arts. Il avait vu assez de choses, il avait assez pratiqué les hommes pour avoir l’expérience, une expérience sans amertume, et sa conversation pleine de souvenirs, sensée et ingénieuse, faisait parfois revivre toute une époque. Sans être un écrivain, il avait au besoin l’accent net et ému pour défendre le roi dont il avait