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en lui disant : « Depuis que le monde existe, aucune famille n’a joui de l’honneur de produire un héros et un philosophe de première ligne. Cet honneur était réservé à ma maison. Mon fils, tes succès, comme philosophe, égaleront ceux que j’ai obtenus comme militaire et comme politique. » Ce ton de confiance superbe, en parlant de soi et de ses aïeux, montre que le fondateur du saint-simonisme est bien du même sang que l’auteur des Mémoires.

En réalité, l’illustration des Saint-Simon ne datait que de la veille ; comme il arrive souvent, cette famille, qui avait été assez médiocrement payée pour les actions les plus honorables, fut comblée de faveurs et de richesses pour des services obscurs. Ce fut un caprice de Louis XIII qui fit de son page Claude de Saint-Simon un personnage important. Voici comment le fils a raconté cette bonne fortune de son père : « Le roi était passionné pour la chasse, qui était sans route, et sans cette abondance de chiens, de piqueurs, de relais, de commodités, que le roi son fils y a apportées, et surtout sans routes dans les forêts. Mon père, qui remarqua l’impatience du roi à relayer, imagina de lui tourner le cheval qu’il lui présentait la tête à la croupe de celui qu’il quittait. Par ce moyen, le roi, qui était dispos, sautait de l’un sur l’autre sans mettre pied à terre, et cela se faisait en un moment. Cela lui plut : il demanda toujours le même page à son relais, il s’en informa, et peu à peu il le prit en affection. Baradat, premier écuyer, s’étant rendu insupportable au roi par ses hauteurs et ses humeurs arrogantes avec lui, il le chassa et donna sa charge à mon père. « C’était largement payer un service aussi mince ; sans compter que Tallemant des Réaux rabaisse encore les mérites du jeune page : « Le roi, dit-il, prit amitié pour Saint-Simon, à cause que ce garçon lui rapportait toujours des nouvelles certaines de la chasse, qu’il ne tourmentait point trop ses chevaux, et que, quand il portait son cor, il ne bavait point dedans. » Il était encore si peu connu, quand il devint tout d’un coup premier écuyer, que Malherbe, qui parle alors de lui, écorche son nom. « Vous avez su le congé donné à Baradat, écrit-il à Peiresc. Nous avons un sieur Simon, page de la grande écurie, qui a pris sa place ; c’est un jeune homme de dix-huit ans ou environ. La mauvaise conduite de l’autre lui sera une leçon et sa chute om exemple de faire mieux. » Qu’aurait dit notre vaniteux duc et pair de ce sieur Simon, s’il avait lu la lettre de Malherbe ?[1]. Il est probable qu’il lui en coûtait un peu d’avouer les raisons futiles qui avaient mérité à son père l’amitié du roi et qu’il aurait mieux aimé que la fortune de sa famille fût la récompense de quelque action d’éclat. C’était peut-être un des motifs qui lui faisaient défendre.

  1. Voyez le livre déjà cité de M. Chéruel.