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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/532

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avec tant de passion l’antiquité de sa race : en prouvant qu’elle descendait de Charlemagne, on établissait du même coup qu’elle était digne du rang où le caprice d’un roi l’avait un jour élevée ; le hasard futile auquel elle devait sa haute situation devenait une sorte d’accident intelligent et providentiel qui réparait une injustice et remettait une grande maison à sa place. Dans tous les cas, on peut affirmer que ce calcul profond était fort loin de la pensée de Louis XIII quand il faisait de Claude de Saint-Simon son favori. Ce faible et triste roi, qui passait sa vie dans la solitude, avait besoin d’un confident pour se désennuyer ; il le prenait d’ordinaire parmi ses serviteurs intimes et obscurs, « ne demandant, nous dit-on, qu’une chose, c’est que le cardinal ne s’en mêlât pas ; » mais le cardinal s’en mêlait toujours : sans y paraître, il dirigeait adroitement l’affection du roi sur des gens qui, par leur naissance ou leur caractère, ne pouvaient pas lui faire ombrage. Ce favori, inconnu la veille, devenait tout d’un coup un homme important ; suivant l’expression même de Richelieu, « il poussait en une nuit, comme un potiron. » On le comblait de dignités et de richesses jusqu’au jour où le ministre commençait à craindre qu’il ne devînt dangereux. Il trouvait alors quelque moyen habile d’en détacher le roi, qui se laissait faire le plus aisément du monde, car il était aussi inconstant que passionné dans ses amitiés. Ce fut tout à fait l’histoire de Claude de Saint-Simon, qui, après avoir joui quelques années de la plus grande faveur, passa le reste du règne de Louis XIII dans l’exil le plus rigoureux.

Saint-Simon aimait beaucoup son père ; il lui était reconnaissant de la grande situation qu’il lui avait laissée, et, dans ses Mémoires, quand il arrive à l’époque où il a eu le malheur de le perdre, il interrompt le récit des affaires publiques pour parler longuement de lui. M. de Boislisle a pensé qu’il fallait compléter ou contrôler ce qu’il nous en dit et achever de nous faire connaître un personnage qui a tenu une si grande place dans l’affection de son fils. C’est le sujet de son second appendice. Nous sommes fort tentés, après l’avoir lu, de rabattre beaucoup des éloges qui lui sont donnés dans les Mémoires. Saint-Simon le loue surtout de son désintéressement. « Il fut toujours modeste, nous dit-il, et souverainement désintéressé ; il ne demanda jamais rien pour soi. » C’est ce qu’il est vraiment difficile d’admettre : le moyen de croire qu’un homme qui a tant obtenu n’eût jamais rien demandé ! M. de Boislisle énumère tout ce qu’il tira, en trois ans à peine, de la faveur royale. Il fut nommé premier écuyer, capitaine du Petit-Bourbon et des châteaux de Saint-Germain et de Versailles, grand louvetier, premier gentilhomme de la chambre, conseiller du roi en ses Conseils d’état et privé, enfin gouverneur de Meulan et de Blaye. En