Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corps. L’épreuve du fer rouge, renouvelée des anciens jugemens de Dieu et qui consistait à faire tenir à la main par l’accusée un fer ardent, pour savoir s’il produirait ou non une blessure, est généralement récusée. Il y a plus ; si la sorcière demande cette épreuve, c’est un signe qu’elle est protégée par le démon ; elle doit donc être véhémentement suspecte. Un des signes les plus graves, c’est l’absence de larmes « qui est une présomption bien grande, d’autant que les femmes jettent larmes et soupirs à propos et sans propos. » Les sorcières ne peuvent pleurer ; c’est une vérité connue de toute antiquité, et attestée par les auteurs les plus vénérables. Quelquefois l’accusée essaie de donner le change, et de simuler les pleurs ; mais le bon inquisiteur né doit pas se laisser abuser. Il lui est même recommandé de pratiquer une conjuration spéciale pour faire couler les larmes. L’expérience a appris que, s’il s’agit d’une vraie sorcière, plus on fait de conjurations pour appeler les larmes, moins les larmes arrivent. Il y a cependant des cas, ajoutent les inquisiteurs, où des sorcières peuvent pleurer, mais ces pleurs sont la preuve de l’astuce du démon : il ne faut pas se laisser abuser par ces apparences, mais chercher des preuves plus certaines pour les convaincre de leur crime.

Souvent aux tortures, aux interrogations, aux conjurations, aux exorcismes, la sorcière ne répond que par le silence. C’est là un maléfice grave, celui de la taciturnité. Ce silence absolu est un des plus redoutables obstacles que rencontre l’inquisiteur. Pour y remédier, il faut raser tout le corps de l’accusée ; car souvent le charme de taciturnité est caché entre les cheveux des sorciers. Il faut chercher s’il n’y a pas quelque part une amulette, un anneau magique : le détruire si on l’a trouvé ; choisir de préférence, pour pratiquer les interrogations, c’est-à-dire la torture, les jours de fête pendant lesquels le charme n’opère plus, allumer des cierges sacrés et essayer de faire boire à l’accusée de l’eau bénite. Si néanmoins l’accusée n’avoue pas, il est permis de lui faire de terribles menaces, de fausses promesses. Sprenger le dit explicitement. On peut assurer à la sorcière qu’elle aura la vie sauve, au risque de ne pas tenir sa promesse si elle est trop coupable. Au cas où la pauvre femme demande un avocat, le juge pourra refuser quand le crime sera évident. Si le juge l’y autorise, elle pourra chercher un défenseur ; mais quelles restrictions dans la défense ! D’abord le nom des témoins restera secret ; ensuite l’avocat sera à l’avance averti par le juge que, s’il défend une mauvaise cause, c’est à ses risques et périls, qu’il ne doit pas crier trop fort, qu’il n’ait à compter sur aucune rétribution, et qu’enfin, s’il se montre dans sa plaidoirie hérétique, ou plutôt hérésiarque, les juges