Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 37.djvu/676

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

connoitre de quelle façon vous devez parler d’un homme de ma sorte. » Et sans écouter les excuses du sieur de Chavailles, il lui brisa sa canne sur la tête. Insulté dans un de ses membres, le tiers-état bondit sous l’injure ; moins d’une heure après la rencontre, cent quatre-vingt douze députés allaient au Louvre demander justice de l’attentat. Florimond Rapine a décrit cette audience, où il assistait : « Le roi étoit assis dans une chaire de velours, couvert d’un chapeau gris ; la reine sa mère, assise à son côté gauche, M. le chancelier debout à son côté droit, nue tête. » Robert Miron, président du tiers, le sieur de Chavailles et tous les députés se jetèrent à deux genoux aux pieds du roi. « Sire, dit Robert Miron, le tiers-état, représentant tout votre peuple, se vient prosterner à vos pieds avec des larmes de sang, et les sanglots à la bouche, marques assurées de sa pressante douleur pour l’offense qui a été faite à Votre Majesté en la personne de l’un de vos députés. Toute la France s’en ressent blessée. Que fera la noblesse parmi les champs ? De quelle façon traitera-t-elle ailleurs vos sujets et vos officiers, puisqu’à la vue du Louvre, du parlement et des états, un gentilhomme a osé maltraiter à coups de bâton un lieutenant de province, un député qui est en votre particulière protection ? Que deviendra ce député, quand il sera de retour en sa maison, puisqu’au milieu de cette grande ville, capitale de votre royaume, il a été si indignement traité ? Où est le respect, où est la révérence des lois ? Quelle crainte aura-t-on de leur censure parmi le monde, puisqu’à Paris, demeure des rois et des loix, un officier, un député, une personne publique, protégée par votre royale garantie, a été outragée comme la plus abjecte et vile personne du monde ! » Le roi déféra la plainte au parlement. Un mois après, le sieur de Bonneval était condamné à 2,000 livres de dommages-intérêts, à la confiscation de ses biens et à la peine de mort. Le tiers avait obtenu satisfaction.

Fatiguée des violens discours et des scènes tragiques qui attestaient l’exaltation croissante des esprits, la cour résolut d’en finir. Sous l’ancien régime, quand une assemblée gênait, il existait à l’usage du pouvoir un moyen de dissolution peu compliqué et toujours le même : on dégarnissait les salles des séances pendant la nuit et on fermait la maison. Mis à la porte comme des locataires congédiés, les députés se dispersaient en murmurant, ils ébauchaient un semblant de protestation dans la rue indifférente, puis couraient oublier leur dépit au fond de leurs provinces. Ceux de 1614,traités sans plus de façon, s’agitèrent pendant une semaine. Chaque matin, ils venaient par groupes « battre le pavé » du cloître des Augustins où s’étaient tenus les états, l’œil fixé sur la porte immobile, discutant les nouvelles, maudissant les ministres,